23/04/1923 : France et Bretagne

Je soussigné François Bausire, capitaine du trois-mâts « France et Bretagne », d’un tonnage net de 480 tonnes et appartenant à Monsieur Pierre Malliey, déclare :

J’ai quitté Saint-Malo le 19 mars 1923 à destination du Grand Banc de Terre-Neuve. La traversée s’est déroulée avec des vents variables soufflant du sud-ouest et du nord-ouest. Quelquefois le vent a été si fort que nous avons été obligés d’amener de la voilure. Ce mauvais temps a continué jusqu’au 21 avril. Le 22 avril il y a eu un fort orage qui a duré toute la journée et le lendemain 23, il y avait une brume épaisse avec de fortes variations de température. Le même jour à midi, pensant trouver des icebergs sur ma route, j’ai recommandé à mes officiers d’observer une veille attentive. Le 24 avril, la brume était encore plus épaisse avec une petite brise soufflant du nord-ouest. A dessein, j’ai réduit ma voilure, la vitesse était d’environ trois à quatre nœuds et à 11 h 30 la position était de 46°21 de longitude ouest. Un homme qui était de veille a crié soudainement « glace à tribord ».

J’ai immédiatement donné ordre de changer d’amures et d’amener les voiles d’étai. La manœuvre s’est effectué aussitôt mais la collision était inévitable. Un autre iceberg était visible sur bâbord et les deux icebergs étaient réunis entre eux par une sorte de collier. Encore une fois j’ai fait changer les amures des voiles, dans le but de nous écarter des deux énormes blocs de glace. Cette manœuvre a duré environ 15 minutes, mais pendant ce temps le fond du navire avait frotté longuement et nous avions une grave déchirure à la coque.

Nous avons réussi à faire démarrer immédiatement notre pompe mécanique, mais nous avons remarqué que nous avions une voie d’eau très importante. La pompe évacuait de l’eau noire, ce qui expliquait que le charbon avait pénétré à l’intérieur de la pompe me faisant craindre qu’elle finisse par se boucher. J’ai fait mettre en route une autre pompe dans le poste d’équipage. Après plusieurs sondes prises dans la cale par le second officier, celui-ci m’a informé que nous perdions du terrain, que l’eau montait plus vite que les pompes pouvaient l’évacuer. J’ai fait descendre une petite voile dans la cale dans le but de colmater la brèche. Nous avons changé le sel de place et des signaux de détresse ont été lancés avec la corne à brume et le canon. Mais aucune assistance n’est venue. Avant que la nuit descende j’ai fait allumer les feux de position.

Les pompes ont fonctionné sans interruption jusqu’à 1 heure du matin la journée du 25 avril. Voyant que l’eau continuait à monter dangereusement, je me suis aperçu que la perte du navire était inévitable. Nous avions de l’eau jusqu’au faux-pont. J’ai alors consulté l’équipage et à l’unanimité il a été décidé d’abandonner le navire. J’ai fait préparer les doris et j’ai désigné chaque homme devant embarquer dans chaque doris. Notre départ du navire s’est passé sans incident et nous avons embarqué dans les doris une assez grande quantité de provisions afin de nous permettre de survivre plusieurs jours. Le patron de chaque doris a reçu des instructions relatives au contact à maintenir entre tous les doris et à se tenir à une distance toujours visuelle le jour comme la nuit avec leur lumière. A 2 heures du matin nous avons évacué le navire. Je suis resté à bord le dernier comme il se doit pour un capitaine. Cependant nous sommes restés près du bateau. A 4 heures le matin accompagné de quelques officiers, je suis retourné à bord du « France et Bretagne ».

Le navire était aux trois-quarts rempli d’eau. Nous avons pu pénétrer dans le poste d’équipage ou nous avons mis le feu, après l’avoir imbibé d’essence. Ce feu mis volontairement n’avait qu’un but, faire disparaître le bateau rapidement afin qu’il ne devienne pas un danger pour la navigation.

Toute la journée la brume nous a entouré avec absence totale de vent. J’ai donné l’ordre à tous les patrons de doris au cas où l’un d’eux serait séparé des autres, de gouverner en direction de l’ouest. C’était le meilleur espoir de trouver un bateau et d’être récupérés. Nous sommes restés sur place jusqu’au moment où le navire a disparu de la surface de la mer.

J’ai remarqué avant notre départ que déjà deux doris s’étaient séparés du groupe et qu’ils disparaissaient dans le brouillard. J’ai pris la route vers l’ouest avec tous les autres, et à plusieurs reprises nous avons rencontré plusieurs icebergs géants qui défilaient, entraînés par le courant. Le 26 le vent soufflait en force du sud-ouest, trois autres doris ont disparu. Le 27 nous avons eu du calme pendant tout le jour ; le 28 le vent s’est levé de nouveau, ce qui a eu pour effet de faire disparaître la brume qui nous entourait. Vers 11 heures du matin, nous avons aperçu sur tribord un trois-mâts et une autre goélette sous voiles. Nous avons hissé notre petite voile pour indiquer notre présence, mais la brume est revenue de façon soudaine et nous n’avons pas été aperçus. Deux heures après, nous avons vu un autre trois-mâts sous voiles, il nous remarqués et a fait route dans notre direction. A quatre heures de l’après-midi, cinq doris avec un total dix-huit hommes ont accosté. Les hommes sont montés à bord de « Anne de Bretagne » de Cancale. Dans ce rapport, je tiens a remercier le capitaine Mathurin de « Anne de Bretagne » qui a accueilli une partie de mon équipage et moi-même qui avions souffert durement dans nos doris pendant trois jours et quatre nuits dans la brume, le froid et parmi les icebergs. Je suis resté très soucieux car j’étais sans nouvelles de vingt autres hommes de mon équipage qui se trouvaient dans cinq doris.

Nous avons mouillé sur le Grand-Banc le 1er mai. Ce jour-là quatre de mes hommes furent transférés sur le « Pépita » de Saint-Malo, quatre sur le « Minerve » de Cancale, et quatre sur « l’Amiral Gervais » de Saint-Malo. Je suis resté jusqu’au 19 mai sur « Anne de Bretagne » avec six hommes. Le 19 nous avons tous embarqué sur le navire de guerre français « Régulus » qui nous a débarqués à Saint-Pierre le 25.

Durant la traversée nous avons appris que quatre hommes de « France et Bretagne » avaient été récupérés par le navire ‘Raymonde’ de Granville. Nous n’avions pas d’autres nouvelles des dix-huit hommes qui manquaient encore.

Roy Spindler, capitaine et armateur de la goélette « Bertha L. Walters » de Lunenbourg, Nouvelle-Ecosse, déclare que le 3 mai il était en pêche au mouillage à environ 220 milles marins dans le 160° de Saint-Pierre avec un lot de boëtte fraîche. A 11 heures du matin ce jour-là, un doris monté par quatre hommes a accosté le long de son navire. Ces quatre hommes étaient des français naufragés, rescapés du trois-mâts « France et Bretagne » qui avait heurté un iceberg le 22 avril et avait coulé à la suite de cette collision. Ces quatre hommes avaient passé neuf jours dans leur doris, ils étaient dans un état de fatigue extrême et certains d’entre eux avaient les pieds gelés. J’ai jugé qu’il était absolument nécessaire de tout mettre en œuvre pour sauver la vie de ces hommes. J’ai relevé mon ancre et je suis parti immédiatement pour Saint-Pierre. J’ai mis cinq jours pour gagner ce port. J’ai perdu sept à huit jours de pêche, j’ai également perdu ma boëtte. J’évalue ma perte à environ mille dollars.

Ceci est la fin de l’histoire du naufrage de « France et Bretagne », une autre victime de la mer, de la brume et également d’un autre danger, particulièrement redouté des marins, les icebergs.

13/01/1923 : Général Jacob

Il est rare dans nos îles de trouver un exemple de bateau qui a fait naufrage et de revoir ce bateau naviguer ultérieurement. Le cas qui nous intéresse est encore plus rare. Ce bateau ne s’est pas échoué seulement une fois, mais deux fois et après son second échouage il a pu de nouveau être renfloué et reprendre ses courses sur l’océan. Par la suite il est revenu assez souvent nous rendre visite dans notre port. Voici l’histoire du Général Jacob.

Ce bateau avait une jauge de 167 tonnes et son propriétaire était Monsieur Samuel Harris de Grand Bank, Terre-Neuve.

Le dimanche 14 janvier, écrit le Maire de Miquelon, je fus informé par le sieur Larranaga, fermier à Langlade, d’une mésaventure arrivée la veille. Pour m’informer il m’envoya un messager nommé Ernest Aubert qui était sourd et muet. Aubert écrivait très bien, et par écrit il m ‘informa qu’il y avait un navire échoué nommé Général Jacob, commandé par le capitaine Gordon Williams de Grand-Bank.

Le bateau avait 45 jours de mer et il revenait du Portugal avec un chargement de sel. Le navire s’était échoué vers midi la journée précédente. L’équipage s’était sauvé avec de grandes difficultés, étant donné que la mer ce jour-là était très mauvaise. C’était impossible de mettre une embarcation à la mer. Les hommes ont réussi à se sauver au moyen d’un va-et-vient établi entre le navire et la terre. Trois hommes étaient à la ferme Larranaga, trois autres à la ferme Olivier. Ernest Aubert est arrivé à Miquelon dans un état de fatigue extrême. Il avait fait la route en pleine tempête de neige, et à certains endroits il avait dû traverser des congères dont la hauteur lui atteignait la poitrine.

Le capitaine Williams a déclaré qu’il avait eu du beau temps pour traverser l’Atlantique jusqu’au Cap Sainte Mary (Baie de Plaisance, Terre-Neuve) mais que sa voilure avait été complètement détruite par une tempête soudaine qui l’avait fait dériver jusqu’à la dune de Langlade où il s’était échoué. Le navire après avoir jeté à la mer sa cargaison de sel a pu être renfloué et remorqué jusqu’à son port d’attache à Grand-Bank. C’était la seconde fois que ce bateau était renfloué, constituant presque un cas unique dans les annales maritimes de nos Iles. Il s’était échoué un an avant sur les rochers à Saint-Pierre à la suite de la rupture d’une de ses chaînes. Ce bateau qui avait la « barraka » était très connu des Saint-Pierrais, ainsi que celui qui le commandait, le capitaine Cordon Williams.

08/08/1922 : André-Pierre

Je soussigné Placide Daussy, capitaine du chalutier André-Pierre de Fécamp, d’un tonnage de 200 tonnes, déclare :

J’ai quitté le port de Fécamp le 6 juillet 1922, en route pour le Grand Banc de Terre-Neuve. Après avoir pris du charbon dans le port de Sydney, N.S., j’ai quitté ce port le 28 juillet pour aller pêcher sur le Grand Banc où je suis arrivé le lendemain et j’ai mis en pêche aussitôt. De ce jour jusqu’au 7 août j’ai pêché une très grosse quantité de poissons. Mon lot de sel étant épuisé, j’ai mis en route pour Saint-Pierre avec dans la cale environ 4000 quintaux de morue. La brume était très épaisse et la route donnée au timonier était à l’est. D’après les indications du lock nous avions parcouru 168 milles marins. La distance restant à franchir avant d’apercevoir la terre était de l’ordre de 20 milles. J’ai diminué de vitesse à cause de la brume encore plus épaisse à proximité de la terre. A 8 h 30 nous nous sommes échoués. Immédiatement j’ai renversé la machine, mais sans succès, le navire étant trop échoué pour que la machine puisse le renflouer. La brume continuait d’être très dense.

La mer n’étant pas très mauvaise, j’ai donné l’ordre de mettre une chaloupe à la mer le long du bord. Nous y avons déposé deux ancres que nous avons mouillées à environ 600 mètres sur l’arrière du navire. Nous avons viré sur ces deux ancres mouillées, mais cette manœuvre s’est terminée par un échec, car les deux ancres ont ripé sur le fond n’offrant aucune résistance à la traction. Le navire commençait à fatiguer et il talonnait très fort sous l’effet du vent et du gros ressac. Nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire pour nous retirer de cette fâcheuse situation. Nous avons jeté une grande partie de notre charbon à la mer dans le but d’alléger le bateau ; malgré cela le navire était trop fortement empalé sur les rochers. Nous avons continué nos efforts jusqu’au moment du plus haut niveau de la marée montante, mais finalement il nous a fallu renoncer. Le navire prenait de l’eau par l’avant et par l’arrière.

Durant la journée le vent a été modéré mais il a augmenté de force ainsi que la mer autour du navire. J’ai décidé qu’une partie de l’équipage irait à terre. Il a réussi à y prendre pied, mais au prix de grandes difficultés. La chaloupe a chaviré trois fois le long du bord et il a fallu la vider à chaque fois. Je suis resté à bord avec quelques officiers et l’opérateur radio. Pendant la nuit il a été impossible d’effectuer aucune opération pour renflouer le navire. L’eau avait envahi la salle des machines. Nous avons pris contact avec Saint-Pierre au moyen de la télégraphie du bord. Nous sommes restés a bord le lendemain, et le surlendemain en début de soirée nous avons réussi à prendre pied sur la terre avec de grandes difficultés. Fort heureusement ce naufrage n’a occasionné que des pertes matérielles, car tous les membres de l’équipage se sont retrouvés tous à terre en sécurité.

Dans son rapport le capitaine Daussy n’indique pas le lieu du naufrage. Une fois de plus, le violent courant portant de façon constante au nord était responsable de ce naufrage. En effet le chalutier André-Pierre termina sa carrière sur les rochers de la Pointe au Cheval. La dune de Langlade méritait bien son nom de nécropole des navires.

03/07/1922 : Canadian-Commander

Seulement dix-huit mois après son entrée en service le Canadian-Commander fut victime de la brume, du courant, peut-être aussi d’une navigation incertaine qui le firent s’échouer sur les bancs de sable de la côte ouest de Langlade.

Ce navire appartenait au Gouvernement canadien ; il avait une jauge de 3,347 tonnes et un équipage de 47 hommes. Il avait quitté Montréal le 29 juin avec une cargaison de 8000 tonnes de grains et de marchandises diverses destinées aux ports de Londres et Anvers. La dernière observation d’astre avait été effectuée par le capitaine Maclean’s dans le Golfe Saint-Laurent à la hauteur de l’Ile Saint-Paul. Depuis cette observation, la brume l’avait obligé à naviguer à l’estime. La brume très épaisse persista jusqu’au moment où il s’échoua à Langlade. Puisqu’il lui était impossible de faire des observations de soleil ou d’étoiles, le capitaine se contenta de travailler avec les appareils de navigation qu’il possédait. Il utilisa régulièrement son sondeur toutes les demi-heures. Le 3 juillet vers sept heures du matin, il déterminait sa position à environ 12 milles de la Pointe Plate après avoir effectué une sonde qui lui indiqua 26 brasses d’eau. Se trouvant dans le nord de Pointe Plate, il déclara qu’à aucun moment il n’entendit le sifflet de brume, même quand il fut très près de terre. La brume dura longtemps après l’échouage. Même après avoir heurté les bancs de sable, pendant trois jours il n’entendit aucun coup de corne ou sifflet ainsi que cela doit être dans pareil cas. Les vents violents soufflant du sud-ouest semblent être la cause de ce courant violent portant au nord qui est responsable de cet échouage. Le capitaine Maclean’s ne pensait pas que son bateau aurait à subir l’influence d’un courant aussi violent et portant en direction de terre. Après l’échouage le vent souffla modérément mais il y avait un fort ressac et la brume s’étendait sur une très grande distance.

Bien qu’il ne fut pas en danger immédiat, le Canadian Commander avait demandé assistance par un message télégraphique. Plusieurs vapeurs partis de Québec arrivèrent rapidement sur les lieux et aidèrent à l’enlèvement de la cargaison du bateau échoué. En plus de la valeur de la cargaison dont le montant de l’assurance n’était pas connu, le navire était évalué à $1,700,000. Le travail de transbordement s’opéra très rapidement. Il était absolument nécessaire de décharger la cargaison entière pour que le Canadian Commander puisse être remis a flot. C’est ce qui fut fait dans un temps record. Le navire fut renfloué puis remorqué dans la rade de Saint-Pierre.

29/12/1921 : Paul-Simone

Paul-Simone (Photo. Michel Brian-Ozon)

Dans la soirée du 29 décembre 1921 le gardien du phare de l’Ile aux Chiens rendit visite à la famille d’une de ses nièces, qui était la mère d’un des auteurs. C’était l’époque des grandes veillées en famille avec parties de cartes, se terminant par une substantielle collation.

Vers 23 h 30 le gardien de phare quitta sa famille pour regagner l’unique maisonnette bâtie au pied du phare, où il habitait avec sa vieille mère. Le vent commençait à souffler du Sud-Est avec, par intermittences, de forts grains de neige. Le phare de la Pointe Leconte est situé sur un tumulus ou plutôt sur une sorte de butte. Quand le gardien Poirier arriva au pied de cette butte, il entendit soudain des appels au secours. Pensant tout de suite à un naufrage il hâta le pas. Arrivé au pied du phare, son premier souci fut de fixer la lanterne pour constater qu’elle fonctionnait. A sa grande satisfaction il vit que tout était normal dans l’éclairage du phare.

Entrant dans sa maison, il alluma un grand fanal-tempête et se dirigea dans la direction d’où les cris lui parvenaient. Quand il arriva en haut des rochers un hurlement d’hommes en danger se fit entendre. Grâce à la lumière que projetait son fanal il parvint à descendre la petite falaise. Il vit une masse sombre à quelques mètres des rochers où la mer déjà déferlait avec force. Il cria qu’on lui envoie un filin. Un homme du bateau muni d’un orin réussit à atteindre le bout dehors (beaupré) et à jeter l’orin. Le gardien s’en saisit et demanda qu’on attache un cartahu sur le petit filin, pour qu’il puisse s’en saisir. En quelques minutes ce fut fait. Quand le gardien eut le cartahu en mains, il fit une boucle qu’il passa à son bras et il reprit l’escalade de la petite falaise. Il amarra le filin autour d’un gros rocher et les hommes du bateau le raidirent dans la hune. Ce fut le mousse âge de quatorze ans qui arriva le premier à terre, puis les hommes d’équipage ; le dernier, comme toujours dans les naufrages, fut le capitaine qui tomba dans les bras de Poirier dont il était un des meilleurs amis.

La cause du naufrage du Paul-Simone provenait du fait que le capitaine, connaissant très bien les côtes de Saint-Pierre, avait tenté de franchir la passe du Sud-Est avant la tempête de neige, mais trompé par un grain de neige et drosse par le courant, il avait manqué l’entrée.

L’endroit du naufrage était très mauvais ; au bout de quelques jours, le Paul-Simone qui était sur lest était brisé, des débris jonchant le littoral de l’île aux Chiens.

06/03/1921 : Parmanencia

Ce bateau était neuf, construit six mois avant. Le Parmanencia était un bateau en ciment. Seulement trois bateaux de ce genre avaient été construits en Nouvelle-Ecosse. Il avait un tonnage de 292 tonnes et il appartenait à Monsieur W.N. MacDonald de Sydney. Il avait un équipage de neuf hommes. La cargaison du Parmanencia se composait de 188 tonnes de harengs qu’il devait aller livrer à Boston.

Il était sorti du port de Saint-Pierre et avait quitté le pilote au Colombier. Le vent à ce moment soufflait assez fort du sud-ouest. Dans le courant de l’après-midi le vent augmenta d’intensité pour se transformer en violente tempête. Le Parmanencia doubla le Cap Coupé avec de très grandes difficultés, et plus il avançait, plus la tempête faisait rage. Le capitaine décida d’aller se mettre à l’abri dans le nord de la Pointe Plate, pour attendre la fin de cette tempête. Il mouilla ses deux ancres et fila 75 brasses de chaîne. Vers 3 heures de l’après-midi la chaîne de l’ancre tribord cassa et dix minutes après ce fut au tour de celle de bâbord de se rompre. Ne pouvant exécuter aucune manœuvre à cause de la faible puissance des moteurs par rapport à ce coup de vent, le Parmanencia dériva et s’échoua sur la plage de l’Anse à Capelans.

Peu de temps après l’échouage, des fissures apparurent dans le pont et sur la coque entre la cale et le poste d’équipage. Le capitaine donna l’ordre d’abandonner le navire qui fut considéré perte totale. L’équipage fut réconforté et hébergé avec beaucoup de sollicitude par les gardiens du phare de la Pointe Plate.

10/02/1921 : Marion-Grace

Voulant se mettre à l’abri dans le port de Saint-Pierre par une véritable nuit d’encre et un vent violent qui soufflait du sud-est, le navire anglais Marion-Grace s’empala sur les rochers et l’équipage composé de six hommes, réussit à gagner la terre mais au prix de très grandes difficu1tés.

Ce bateau était un magnifique trois-mâts tout neuf, immatricu1é à Halifax. Sa cargaison était constituée par 127 tonnes de harengs, qui devait être dirigée sur le marché de New York.

19/05/1920 : Jeannette

Je soussigné Jean-Marie Robin, capitaine du navire à vapeur « Jeannette » immatriculé à Saint-Brieuc, France, et appartenant à la Société Générale d’Armement, ayant 36 hommes d’équipage, déclare:

« J’ai quitte le port du Légué, France, le 7 avril l920 à 9 heures le soir, pour aller pêcher sur le Grand Banc de Terre-Neuve. La dure traversée de l’Atlantique avec de forts vents dominants de la partie ouest-nord-ouest, a été ralentie à cause de la mauvaise qualité du charbon dont nous avons brûlé une très grande quantité ».

J’ai mis en pêche au Trou Baleine ou j’ai retrouvé plusieurs chalutiers. Je suis resté sur ce lieu de pêche jusqu’au 18 mai à 14 heures où j’ai appareillé pour Saint-Pierre.

Dans la nuit du 18 au 19 il faisait très sombre à cause de la brume, mais je n’ai rien remarqué d’anormal tout le reste de la nuit. Le 19 à 9 h 30 du matin j’ai demandé et obtenu de l’opérateur du poste de radio du Cap Race un relèvement radiogoniométrie. Ce relèvement me plaçait dans le 240 de ce cap. Immédiatement j’ai stoppé et j’ai pris une sonde. Celle-ci fut de l’ordre de 68 mètres. Je me suis aperçu que j’étais à environ sept milles en dehors de ma route dans le nord-est. J’ai continué ma route sur ce relèvement en gouvernant au 295° jusqu’au moment où j’ai trouvé une sonde de 11,25 m. C’est alors que j’ai changé de direction.

J’ai réduit la vitesse et pris de fréquents sondages. Après plusieurs sondages effectués à différents intervalles, la sonde a indique 95 mètres, 108 mètres. J’ai changé ma route en gouvernant au 34°. Après une autre sonde faite à 9 heures le soir, qui a donné 135 mètres de profondeur j’ai changé ma route en gouvernant au 270° et j’ai diminué ma vitesse. Puis j’ai donné des instructions concernant une veille attentive et une bonne écoute pour tacher d’entendre la corne de Galantry. J’ai donné ordre au second officier d’aller veiller sur le Gaillard. A ce moment ma vitesse était de l’ordre de 4 à 5 nœuds. Je pensais effectuer une autre sonde vers 9 h 30 et ensuite mouiller une ancre pour passer la nuit en cette position en attendant que la brume se lève. A 9 h 15 nous avons entendu un sifflet de brume dans le nord. Mais comme les sons qui nous parvenaient étaient irréguliers, j’ai pensé que c’était un autre vapeur qui se trouvait dans une position identique.

A 9 h 25 le second toujours de veille sur le gaillard a crié: ‘En arrière toute ». Immédiatement j’ai vu les brisants à moins de 100 mètres. J’ai mis la machine en arrière toute et le navire a très bien réagi. Mais malgré cela un violent choc a ébranlé le bateau : nous avions heurté les rochers. Cinq minutes après il y avait un mètre d’eau dans la cale. Le chef mécanicien a mis toutes les pompes en action et elles ont fonctionné parfaitement. L’eau montait à une telle cadence dans la salle des machines que je craignais que le navire coule rapidement. L’eau couvrait déjà une grande partie du pont. J’ai stoppé la machine. Ma grande crainte me faisait songer que le navire pourrait glisser sur le rocher et couler brusquement a quelques mètres du rivage. J’ai ordonné à l’équipage de mettre les ceintures de sauvetage puis donne l’ordre à l’opérateur radio de lancer un message de détresse. Celui-ci était très calme et il a exécuté mes ordres de façon ponctuelle et avec un grand courage. J’ai actionné mon sifflet de nombreuses fois afin de donner l’alarme. Pendant ce temps le lieutenant était occupé à mettre à l’eau les embarcations de sauvetage. C’était une opération très difficile et très périlleuse. Le navire talonnait avec force sur les rochers et le pont était continuellement recouvert par les vagues. Les deux premières chaloupes de sauvetage ont été mises le long du bord assez facilement, mais il n’en était pas de même pour la troisième qui a frappé violemment plusieurs fois la coque du vapeur, et en définitive s’est retournée. Les chaloupes étaient relativement à l’abri le long du navire J’ai donné des ordres pour qu’elles y restent. Mais vers 10 heures, quatre hommes sont partis dans un canot. Ayant vu mes ordres transgressés je suis dans l’obligation de blâmer officiellement leur conduite.

Au moment où les baleinières ont été mises à l’eau, j’ai donné ordre aux hommes d’embarquer dedans par l’avant du bateau car les vagues qui venaient de l’arrière balayaient le pont. Vers onze heures le gardien de l’île aux Vainqueurs est venu sur la falaise avec une lanterne pour fixer exactement notre position, puis il est parti immédiatement pour chercher du secours. A deux heures du matin quinze sauveteurs étaient sur le rivage. Nous avons pu leur envoyer une amarre qu’ils ont fixé solidement à terre, ce qui nous a permis de gagner la terre avec sécurité. A quatre heures du matin, mes 29 hommes et moi-même étions en sécurité à l’île aux Vainqueurs. J’ai quitté le bord le dernier après avoir pris tous mes papiers. Quand nous avons été tous à terre, j’ai donné l’ordre à deux hommes de rester sur la grève pour veiller le navire. Je suis parti immédiatement pour Saint-Pierre où j’ai informé aussitôt le représentant de la Compagnie. Je suis retourné sur les lieux du naufrage dans la matinée et dans l’après-midi. Il a été absolument impossible de sauver le moindre objet du navire qui d’ailleurs a coulé rapidement.

Saint-Pierre, 20 mai 1920

J.M. Robin, Capitaine.

Le père d’un des auteurs participa au sauvetage de l’équipage de la « Jeannette ». Il obtint ainsi que tous ses camarades pour ce sauvetage, un témoignage officiel de satisfaction décerné par le Ministère de la Marine Marchande Française.

23/02/1920 : Viola-May

Le trois-mâts anglais Viola-May s’était échoué à l’entrée de la Passe à la Normande, entre l’Ile aux Vainqueurs et l’Ile aux Pigeons. Le capitaine n’était pas inquiet sur le sort de son navire, car il avait la conviction qu’à la prochaine montée du « flot » son navire se redresserait et pourrait être renfloué et ainsi continuer à naviguer dans l’avenir.

L’optimisme raisonné du capitaine pouvait se concevoir à condition de prendre les mesures nécessaires. Or ces mesures, le capitaine ne les prit pas. La principale d’entre elles consistait à mouiller une ancre assez loin du navire en grande profondeur, qui retiendrait le navire au moment du « flot ». Cette ancre ne fut pas mouillée et la marée montante aidant, le bateau monta de plus en plus sur les rochers à un tel niveau qu’il fut par la suite impossible de le renflouer et qu’il fut considéré comme perte totale par l’assurance.

Le navire appartenait à la Société Petite de English Harbour, côte sud de Terre-Neuve et il était commandé par le capitaine Philippe Dicks de Belloram. Le jour du naufrage, le capitaine Dicks avait aperçu le phare de Galantry, qui est le phare principale de St Pierre et Miquelon, mais un fort grain de neige très prolongé l’avait fait dévier de sa route et s’échouer sur cette côte. Il revenait d’Espagne où il était allé porter un chargement de morue et avait à son bord 130 tonnes de sel qu’il avait pris à Cadix. La nuit était maintenant venue et le navire se trouvait fortement échoué avec en plus une marée descendante. L’équipage abandonna le bateau pour la nuit et retourna sur les lieux le lendemain à l’aube. A ce moment le navire se trouvait échoué encore plus haut, il était à demi rempli d’eau et il fut considéré comme irrécupérable.

11/12/1919 : Falcon

Une tempête venant du nord est responsable de la perte de la goélette anglaise « Falcon » sur la dune de Langlade. Au péril de sa vie, le fermier de Langlade, Grégorio Larranaga, avec un grand courage et un bel héroïsme, sauva d’une mort certaine l’équipage entier de ce bateau.

En reconnaissance de sa bravoure il fut décerné au langladier une médaille d’or offerte par le Ministère de la Marine de France. De plus on lui délivra un témoignage officiel de satisfaction pour l’acte héroïque et la valeur déployée au cours de ce naufrage.

Il serait injuste de ne pas mentionner la magnifique conduite des deux filles du fermier, Mlle Cossu (Mme G. Cormier) et Mlle Larranaga (Mme F. Delamaire). Ces deux jeunes filles, comme leur père, risqueront leur vie dans ce naufrage, et contribueront largement et courageusement au sauvetage des marin naufragés. Le gouvernement français a d’ailleurs récompensé leur héroïsme en attribuant aux deux sœurs, il y a quelques annees la Croix de Chevalier de l’ordre National du Mérite.

Les auteurs n’ont pu résister au plaisir de publier in-extenso dans leur livre, l’article très élogieux paru dans le Journal Officiel de la Colonie en l’annee 1921.

Extrait du Journal Officiel.

Le 11 décembre 1919 une goélette anglaise de Terre-Neuve, le « Falcon » se jette la côte et se brise en morceaux, devant Langlade à l’ouest par tempête de Nord, grains de neige et une température de 8 degrés au-dessous de zéro. Un homme d’équipage est enlevé par les débris. Les quatre survivants réfugiés sur l’un des morceaux sont menaces à chaque instant d’être enlevés par la mer, lorsque le fermier Larranaga arrive avec ses deux filles, Josepha Larranaga et Marie Cossu, pour leur porter secours. Apres de grandes difficultés et en entrant dans l’eau glacée, au milieu des débris roulés par les lames, il réussit à étab1ir une liaison entre la côte et la goélette, et à l’aide de cette liaison se porte a l’aide des naufragés. Au troisième voyage, ayant le maître d’équipage dans ses bras, il est heurte par une planche dans le dos et jeté a la mer avec son compagnon; tous deux se seraient noyés si les deux jeunes filles, se précipitant à la mer, n’étaient venues à leur secours. Après avoir repris ses sens, M. Larranaga retourne une quatrième fois à l’eau et sauve le capitaine. Puis, avec l’aide de ses deux filles, ramène à la ferme les quatre naufrages exténués de fatigue et rendus à la dernière extrémité, et leur prodigue tous les soins pour les ramener à la vie.

La jeune Larranaga dans sa déclaration, dit que le 13 décembre, le temps étant devenu plus beau, elle est allée à cheval a Miquelon prévenir les autorités. Elle ne parle pas des obstacles surmontés dans sa route pour sa mission, ni des dangers courus dans un parcours de 18 km à travers la montagne déserte, couverte de neige, sans un chemin tracé, par un froid glacial, au milieu des tourbillons de neige. Bien que souffrante par suite de son immersion dans l’eau glacée au moment du naufrage, elle part seule de la ferme, vers huit heures, arrivé à Miquelon à seize heures, à moitié gelée, ayant effectué huit heures de cheval. Le lendemain elle entreprend le même voyage pour retourner chez elle, où elle fut obligée de s’aliter pendant huit jours, souffrant de courbatures, éprouvée par la fatigue.

La famille Larranaga qui habite depuis vingt-deux ans dans la partie nord de Langlade une ferme isolée à huit kilomètres de toute habitation, a participé à tous les sauvetages des nombreux équipages des navires qui viennent chaque annee s’échouer sur ces dunes de sable. Les membres de cette famille n’ont jamais hésité, au péril de leur vie, et avec un dévouement extrême, à braver les plus grands dangers pour porter secours aux marins des navires en perdition, et l’hospitalité de la ferme Larranaga est devenue légendaire. M. Larranaga et sa fille Josépha étant de nationalité espagnole ne peuvent recevoir un prix Henri Durant.

En attribuant un prix Henri Durand à celle des filles qui est de nationalité française, Marie Cossu, le conseil supérieur a entendu récompenser le dévouement de toute la famille Larranaga.