01/01/1999 : 120 ans de municipalités

120 ans de municipalités

Par Rodrigue Girardin
Service des Archives

Un certain nombre d’habitants de Saint-Pierre et Miquelon m’ont exprimé le désir de voir étendre à ces établissements quelques-unes des Institutions métropolitaines… »

C’est en ces termes que s’exprime le Ministre de la Marine et des Colonies dans la correspondance qu’il adresse au Commandant le 21 octobre 1871. Le développement des intérêts commerciaux dans l’archipel depuis quelques annees justifie suffisamment la création d’une Chambre de Commerce d’une part, et d’autre part « l’origine de la population » des îles (presque toute métropolitaine) est parfaitement compatible avec l’élection d’un conseil municipal.

Dès lors, l’arrêté du 13 mai 1872 porte organisation d’institutions municipales. En août courant, le Chef de la Colonie prend un arrêté établissant deux communes, l’une à Saint-Pierre et l’autre à Miquelon. Cette nouvelle institution ne rencontre pas un accueil unanime au sein de la population. Pour preuve, les commentaires d’une trentaine de personnes assistant à l’apposition des affiches convoquant les collèges électoraux :

« Nos armateurs et négociants ne se contentent donc pas de nous imposer leur Chambre de Commerce, ils veulent encore se créer d’autres pouvoirs afin de mieux nous tenir dans leurs mains(..) si ces messieurs veulent être Maire, adjoints ou conseillers, ils n’ont qu’à se nommer eux-mêmes… »

A la suite des votes des 3 et 10 novembre 1872, dix-neuf conseillers sont élus (dont deux représentant la section de l’lle-aux-Chiens) et, le 20 du même mois, le Maire et les adjoints sont nommés par le Commandant de la Colonie, respectivement : Michel Victor CORDON, Désiré BRINDEJONC et Yves CRASSIN.

Malgré la volonté qui guide les nouveaux élus, les débuts de la municipalité sont très difficiles, voire mouvementés. Sur des questions concernant la délimitation du domaine colonial et du domaine communal, ainsi que l’embauche d’un secrétaire, une véritable opposition nait au sein du Conseil. A la suite d’une séance extraordinaire houleuse, le Maire délègue ses fonctions à son premier adjoint et finit par démissionner moins de trois mois après sa nomination.

Le Commandant nomme alors BRINDEJONC, Maire de la Ville, qui, face à la mauvaise volonté persistante de l’opposition, démissionne en avril 1873 avec d’autres conseillers.

Joseph DURIEUX est nommé pour lui succéder mais, ne désirant pas subir les mêmes vexations que ses prédécesseurs, il démissionne le lendemain de sa nomination ! (Ce sera là, on s’en doute, le plus court mandat de notre localité).

Plus personne ne désirant exercer le mandat , l’Administration Supérieure décide, conformément aux textes, la dissolution de l’Assemblée.

Le Ministre de la Marine et des Colonies approuve officiellement la décision du Chef de la Colonie, non sans lui recommander de faire procéder à de nouvelles élections « quand le calme sera revenu ».

Face à la dissolution du Conseil Municipal, on nomme à sa place une Commission Spéciale ou Délégation Spéciale, composée de notables et ayant à sa tête un président.

D’élections en démissions en passant par la nomination de commissions municipales, en dix ans, c’est-à-dire jusqu’en 1882, sept maires se succéderont à la Mairie. Parmi eux DURIEUX est nommé deux fois : la première, nous l’avons vu, pour un jour, et la deuxième fois pour une semaine.

En 1882, Paul MAZIER est élu Maire et conserve son mandat jusqu’en 1900. Pendant ces dix huit ans, jugé trop vindicatif, il est suspendu pour trois mois de ses fonctions par le Chef de la Colonie.

Des heurts se renouvellent plusieurs fois au sein du Conseil. On assiste encore à des démissions de Maire, de conseillers, à de nouvelles dissolutions et même à la suppression des communes (juillet 1936). Ces oppositions étaient issues de discussions passionnées, suivies parfois de pugilats (duels sur l’Ile Verte au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat au début du XX siècle).

Paul MAZIER sera pendant longtemps détenteur du plus long mandat exercé à la tête de la municipalité de Saint-Pierre. Il arrive maintenant en deuxième position, derrière l’actuel Maire qui est en fonctions depuis 1971. (Démission en 1998)

COMPTABILITE ET BUDGET COMMUNAL

Pendant très longtemps, le budget communal est déficitaire. Au départ, le Maire François MAZIER (père de Paul) avance régulièrement de sa poche les dépenses dont le paiement est exigible à la livraison (foin ou bois livrés par les anglais de Terre-Neuve; commandes à l’extérieur de ciment et de schiste, ou encore dépenses de faible importance en ville).

En 1898 par exemple, la Commune sollicite un don de l’Administration Supérieure pour régler l’assurance incendie des écoles, faute de ressources. Neuf ans plus tard, les employés municipaux ne peuvent se faire payer leur solde en début d’annee.

Le Gouverneur par intérim demande même au Ministère, en 1915, la suppression pure et simple de la municipalité.

En recettes, la Mairie perçoit le produit des licences sur les cafés et cabarets ; l’octroi de mer (taxe à l’importation) sur les alcools; le droit d’aiguade (créé en 1917) ; le reste étant principalement alimenté par des subventions du Service Local. En 1878, la Municipalité examine la possibilité de créer et de vendre une charge de Commissaire-priseur pour compléter son budget.

La Mairie ne choisira de recourir à l’emprunt qu’en 1894 pour la réalisation d’importants travaux de voirie.

DOMAINE ET EDIFICES COMMUNAUX

Au début de la mise en place des institutions municipales, le Conseil tente de faire établir la délimitation entre le domaine colonial et le domaine communal. Il veut que lui soit concédée toute la partie de l’Ile située au sud de la ligne reliant l’Anse à Brossard (Savoyard) au Cap à l’Aigle (en excluant toute la partie du littoral pouvant servir à l’industrie de la pêche). La demande est rejetée par le Ministère.

A l’origine, le Conseil Municipal tient ses séances dans une maison louée à un particulier. L’Hôtel de Ville est acquis le 18 décembre 1873 selon l’acte passé devant notaire. Cet immeuble appartient à Alexandre VIGNEAU qui lui-même l’a acquis de Léon FRÉCHON (sa construction remonterait à 1865). Destinée à l’habitat, la maison doit subir quelques aménagements qui sont exécutés par des artisans locaux, des disciplinaires et même des prisonniers.

Une des pièces abrite pendant un temps la nouvelle Chambre de Commerce qui s’acquitte d’un loyer. En 1884, la Municipalité, jugeant son Hôtel de Ville trop exigu et voulant l’agrandir, décide d’acquérir des terrains contigus dans la même rue de l’Hôpital (actuellement Raymond Poincaré). Par la suite, la maison sera encore agrandie pour devenir l’immeuble que nous connaissons aujourd’hui

Lorsque, en vertu des textes, la municipalité prend le contrôle de certains secteurs économiques ou sociaux, une situation difficile lui échoit.

Le cimetière, par exemple, est devenu trop petit. Le « Champ des Morts » est donc transféré à son emplacement actuel. On se voit également contraint d’assurer les salaires d’un fossoyeur.

La municipalité pourvoit la ville d’un agent de police chargé de faire respecter les textes municipaux tant en matière de salubrité que de tranquillité ou de sécurité publique.

En 1872, on décide la reconstruction d’un entrepôt destiné au stockage des poudres et des ‘huiles de pétrole » en dehors de la ville.

Un lavoir et des bains publics sont cédés à la commune par le Administration supérieure de la Colonie. Leur existence est bien nécessaire si l’on se souvient du grand nombre de marins et graviers métropolitains qui fréquentent alors la colonie.

Un des domaines qui coûtera cher à la municipalité est l’enseignement. Outre les salaires des maîtres et maîtresses, les dépenses de chauffage et de réparations (ou de construction) grèvent lourdement son budget à tel point qu’en 1909, par exemple, le Maire demande au Ministre de l’Education du matériel d’enseignement (cartes murales, instruments de chimie, livres, etc … ). Les trois communes regroupent alors près de 500 élèves.

La santé publique oblige la municipalité à intervenir dans le domaine médical. Ainsi, un poste subventionné de médecin qui prodigue ses soins aux indigents est créé. On fournit gratuitement des médicaments, du charbon ou du pain aux familles déshéritées.

En 1881, le Service Local abandonne à la Mairie le Service de l’Abattoir avec tout ce que cela comporte de charges de fonctionnement, d’équipement ou de contrôle des viandes.

L’enlèvement des ordures ménagères est également à sa charge. Il se fait alors au moyen d’une charrette qui passe deux fois par semaine dans chacune des zones arrêtées par le Maire en 1891 (les habitants étant par contre tenus de balayer la portion de rue située au devant de leur maison ou propriété).

La voirie et la distribution d’eau,deux secteurs étroitement liés, sont le cauchemar des conseillers municipaux ! Dès 1872, toutes les rues de la ville ont besoin de réparations et l’alimentation en eau est insuffisante. La ville est alimentée par le réservoir du Pain de Sucre auquel on adjoint ensuite celui de la Vigie (les barrages étant longtemps construits en… bois). Ce service est extrêmement important car, outre la fourniture d’eau livrée à la consommation, il faut également assurer un bon service pour les besoins de la lutte contre l’incendie. De même, devait-on pouvoir évacuer d’une manière satisfaisante les « eaux usées » (d’abord au moyen d’égouts en bois, puis en fonte), C’est ainsi qu’entre 1924 et 1931, sept kilomètres d’égouts et quatre kilomètres de conduites d’eau ont été placés dans la ville.

Bien que déjà existant le corps de « soldats du feu » entre dans les attributions de la Commune en 1872. Cette même annee, le Maire propose au Commandant de la Colonie qu’une rétribution soit allouée aux sapeurs-pompiers. Ces derniers refusent : « ce serait contraire à l’équité ». Ils préfèrent et obtiennent un abonnement au médecin et à la pharmacie pour eux-mêmes et leurs familles. A signaler que leur tâche est d’autant plus difficile qu’ils doivent éventuellement se déplacer sur l’Ile-aux-Chiens (avec les moyens dont on disposait alors)

Pour le bien-être de ses administrés, il faut aussi que la municipalité intervienne au niveau des loisirs, On tente d’établir une bibliothèque municipale dès 1873 mais, face à l’importance de la bibliothèque dite « de la Colonie », elle ne verra le jour que bien plus tard.

En même temps que la commune, naît la Lyre (‘musique municipale »). Elle joue notamment à l’occasion de la remise des prix scolaires ou des têtes nationales. Un kiosque à musique est construit en 1892 sur la place du Gouvernement (aujourd’hui place de Lieutenant Colonel Pigeaud).

Enfin, dans le domaine sportif, la municipalité intervient également en donnant des terrains en bail à des associations : l’ancien cimetière pour la pratique du patinage (Skating-Rink Erausquin) et du football par l’ASSP, ou la place de la Liberté pour le jeu de paume puis de la pelote basque.

 Maires de la ville de Saint-Pierre

CORDON Michel Victor 1872-1873
BRINDEJEONC Désiré 1873
DURIEUX Joseph 1873
MAZIER François 1873-1877
CALAIS Jean-Louis 1877-1881
GUERGUIN Charles 1881
DURIEUX Joseph 1881
DUPONT Jean-Jacques 1881-1882
MAZIER Paul Aristide 1882-1900
LEFEVRE Marie 1900-1904
DAYGRAND Gustave 1904-1905
POMPEI Jean François 1905-1907
LAVISSIERE Jean-Marie 1907
POIRIER Emile 1907-1908
NORGEOT Auguste 1908-1909
LEFEVRE Louis 1909-1913
SALOMON Auguste 1913-1920
PLANTE François 1920-1923
GLOANEC Emile 1924-1936
Suppression des communes 1936-1945
DAGUERRE Georges 1945-1955
LEHUENEN Joseph 1955-1971
PEN Albert 1971-1998
PLANTEGENEST Marc depuis 1998

 

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