25/01/1925 : Gertrude W

L’histoire du naufrage de cette petite goélette, le « Gertrude W » de Rose Blanche, Terre-Neuve, est une histoire terrifiante. Ce drame maritime qui causa la perte d’un bon bateau, aurait pu se terminer par une tragédie bien plus grande encore. Il est absolument incroyable que ces sept hommes aient pu échapper à la mort qui les guettait pendant de longues heures. Ce qui est vraiment remarquable, c’est la résistance de ces marins qui n’ont jamais désespéré au moment le plus difficile, le plus douloureux de leur carrière de marins. Voici, amis lecteurs, un drame émouvant qui mérite toute votre attention.

La température toujours assez basse au mois de janvier est déjà pour les marins un handicap sérieux. La mer et ses réactions subites en cette saison est également un handicap pour un petit bateau âge de prés de 50 ans. Après trois jours passés au milieu d’une violente tempête, le ‘Gertrude W’ était littéralement à la merci du vent et des vagues qui le ballottaient comme un bouchon. Le compas avait été arraché de son habitacle, les doris étaient passés par-dessus le bord à la suite du passage d’une vague, le moteur était en panne. Les vivres et toutes les provisions étaient endommages par l’eau et les marins n’avaient même plus une allumette qui leur aurait permis d’allumer du feu pour se réchauffer et se sécher. Et la tempête continuait entraînant la goélette sur la mer comme un fétu de paille. Le timonier s’était amarré à la barre du gouvernail avec un bon filin, c’est d’ailleurs grâce à cette précaution qu’il conserva la vie, car il fut arraché de la barre par une vague monstrueuse et il passa par-dessus le bord. Ses compagnons le rattrapèrent mais il était à ce moment absolument inconscient. Le capitaine prit la place du timonier, il n’avait plus aucun point de repère car son compas, je l’ai écrit plus haut, était passé par-dessus bord! Il n’eut pas trop de son expérience et des instincts de Terre-Neuvien et de marin consommé, pour réussir dans une telle tourmente à tenir dans le vent l’étrave de son bateau.

Vers 11 heures du soir, au cours de cette nuit de désespoir et d’épouvante, le navire ressentit un choc violent qui l’ébranla de la quille aux mâts. C’était l’échouage sur cette dangereuse côte de Langlade à environ six milles de la Pointe Plate. Immédiatement après l’échouage, plusieurs bordages de la coque du « Gertrude W » se brisèrent et le navire fut mis en miettes rapidement. Les sept hommes furent précipités sur les rochers et ce fut presque un miracle qu’ils ne soient pas tués ou blessés gravement par la mer en furie. Ils réussirent, l’instinct de la conservation aidant, a grimper la falaise du Cap.

Absolument exténués, n’ayant pris aucune nourriture depuis trois jours, leurs vêtements gelés, en particulier le timonier qui n’avait plus de coiffure, plus de mitaines ni de bottes, à la suite de son passage par dessus bord et de son séjour dans l’eau. Le seul signe de civilisation et de vie pour eux était la lumière du phare de la Pointe Plate distant d’au moins dix kilomètres. A demi paralysés, titubant dans cette nuit glacée, sur un terrain dur et inconnu, ils se dirigèrent tous les sept, la lumière les guidant, vers le phare.

Après quatre heures d’efforts inouïs, accomplissant la dernière partie de leur calvaire en rampant sur les mains et sur les genoux, le capitaine et un jeune matelot de quatorze ans, réussirent à parvenir à la porte des maisons des gardiens. Immédiatement ils furent réconfortés par les gardiens et leurs familles. Les gardiens qui dans leur carrière avaient déjà vu des marins en détresse, comprirent que ces deux malheureux n’étaient pas seuls, et ils partirent immédiatement à la recherche des autres. Ils les trouvèrent tous les cinq se tenant les uns aux autres et presque recouverts par la neige à la lisière du bois. Leurs vêtements étaient entièrement recouverts d’une carapace glacée et seulement une petite parcelle de vie existait dans leurs pauvres yeux. Sous la poigne des solides sauveteurs, les naufragés furent placés sur des luges et transportés dans les maisons des gardiens de phare. Les gardiens et leurs épouses qui connaissaient si bien les infortunes des marins naufragés, entourèrent de soins vigilants les sept rescapés du « Gertrude W ». Il fallut attendre trois jours pour que les pauvres marins reviennent lentement à la vie.

Quelques jours plus tard les sept marins, profondément bouleversés prenaient congé, les larmes aux yeux, de leurs généreux sauveteurs. Ils quittèrent Pointe Plate par un vent rageur à bord du « Glencoe », un vapeur de Terre-Neuve. Ce navire fit escale à Saint-Pierre et les sept marins furent placés à l’hôpital de cette ville pour compléter les soins qu’ils avaient reçus de ceux de la Pointe Plate qui étaient devenus leurs amis. A l’hôpital de Saint-Pierre, ils furent entourés de soins vigilants et reçurent la visite de nombreux Saint-Pierrais, qui se substituant pour un moment à leurs familles, vinrent leur apporter un peu de réconfort.

L’odyssée des rescapés du « Gertrude W » était terminée et un nouveau nom venait s’inscrire au martyrologe des navires victimes de la terrible dune.

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