Je soussigné Jean-Marie Commereux, capitaine de la goélette « Louis », immatriculée à Saint-Malo, ayant 22 hommes d’équipage, déclare ce qui suit:
« J’ai quitté Saint-Pierre le 11 juillet 1913 et mon navire était dans de bonnes conditions de navigabilité. Je me suis dirigé sur le « Bonnet Flamand » où je suis arrivé le 18. J’ai pêche sur ce banc jusqu’au 3 août, jour où je suis parti pour le Grand Banc ou j’arrivai le 6. La pêche s’est déroulée normalement et rien de fâcheux ne s’est produit jusqu’au 22 août. Un vent violent s’est levé de l’est-sud-est, puis tourné vers le sud, produisant une houle énorme. Peu avant le repas, les hommes comme de coutume se sont mis à pomper. Constatant que les pompes n’étaient pas franches et que l’eau continuait à venir claire, je suis descendu dans la cale muni d’une bougie, avec deux hommes. Nous avons constaté qu’il y avait une hauteur d’eau de cinquante centimètres dans le compartiment où était entreposée la boëtte. Ce compartiment contenait du capelan. J’ai organisé une équipe avec des seaux, puisant l’eau à l’intérieur tandis qu’une autre équipe pompait. Malgré ces mesures, l’eau continuait à monter dans la cale. Vers 9 heures du soir, la cloison séparant le compartiment où étaient nos provisions et celui contenant la boëtte s’est rompue. Après cela le capelan s’est répandu partout et il a bloqué les pompes. A ce moment le navire ne roulait pas et nous avons entendu l’eau qui entrait par l’arrière. Immédiatement j’ai décidé qu’une équipe munie de pelles changerait le sel de place, pour alléger le navire de l’arrière. L’eau avait déjà commencé à faire fondre le sel, que l’équipe ne put atteindre. La tempête continuait à souffler et le navire fatiguait beaucoup. Nous avons travaillé toute la nuit pour maintenir le « Louis » a flot. Les pompes se bloquaient continuellement et l’eau continuait à monter.
Vers 9 heures du matin le 23, le vent ayant sensiblement diminué, j’ai envoyé un doris avec deux hommes joindre le « Briantais » qui était au mouillage à environ un mille dans l’est de notre navire. Le capitaine du « Briantais » envoya son assistant et deux hommes à notre bord ; ils constatèrent et déclarèrent que notre bateau n’était plus en état de naviguer, qu’il y avait 1,50 m d’eau dans la cale et que nos pompes étaient bloquées. Ces hommes nous dirent qu’ils considéraient qu’il devenait nécessaire d’abandonner le navire. Ils entamèrent une conversation avec mon équipage relatif à cet abandon. Après nous être tous mis d’accord, l’ordre d’abandon fut donné a 11 heures du matin. Le signal international de détresse fut viré en haut du mât. Ce signal fut aperçu par le navire « Marie-Thérése » en pêche dans les parages et qui vint prés de nous dans le cas où nous aurions besoin d’aide. Je fis mettre les hommes dans un doris, ne gardant avec moi que deux hommes et un doris. Nous avons percé plusieurs trous dans le pont et vers 3 heures de l’après-midi nous avons mis le feu à bord. Entre-temps j’avais envoyé les papiers à bord du « Marie-Thérése » où moi-même j’ai trouvé refuge avec les deux hommes restés avec moi. Le « Louis » a coulé vers 5 heures de l’après-midi. Il avait à bord 28,000 morues, c’est-à-dire l’équivalence de 550 quintaux. Très peu d’effets personnels furent sauvés.