L’A.B. était une goélette de 152 tonneaux, immatriculée dans le port de Bordeaux, France. Elle avait un équipage de huit hommes, et était commandée par le capitaine Clément Gendron, qui nous raconte ici la fin de son navire à la suite d’un voyage effectué entre Saint-Pierre et Sydney.
« J’ai quitté Saint-Pierre le 2 mai 1880 à destination de Sydney, Nouvelle Ecosse. Mon bateau naviguait uniquement sur un lest composé de 50 tonnes de cailloux. Ce jour-là le vent soufflait de l’Est avec assez de violence.
Le 14 j’ai rencontré des glaces, j’ai donc pris une direction plus au Nord avec l’espoir de trouver un passage. Au bout d’un certain temps je suis revenu au Sud car en continuant par le Nord il était impossible de trouver un passage pour arriver en vue de l’île de Scatari. Ayant réussi à approcher cette île, j’ai essayé de franchir le passage existant entre l’île et la terre du continent. Je n’ai pu y parvenir; je fus obligé de revenir me placer au bord de la banquise où je suis resté du 17 au 21.
Le 21 à deux heures du matin, par une brume très épaisse, je fus abordé par un trois-mâts anglais le « Québec ». Il nous a fallu deux grandes heures pour nous séparer l’un de l’autre. Mes avaries étaient importantes, mes voiles très endommagées et un de mes mâts rompu. De plus, à cause de l’abordage, mon bateau n’était plus en bonne condition pour continuer le voyage. Je pris donc la décision de revenir à Saint-Pierre. Je mis en route avec un vent violent soufflant du Sud-Ouest.
Le lendemain 22, j’ai reconnu l’île de Terre-Neuve à une distance approximative de trente milles dans le Nord. Le 23, le vent soufflait très légèrement du Sud-Ouest, avec une brume très épaisse. Je fis un sondage qui me donna une profondeur de 180 mètres. Dans cette brume épaisse je naviguais à une vitesse d’environ 3 nœuds. A 7 h 45 je procédais a un autre sondage; avec ma ligne de sonde de 180 mètres je n’ai pas trouvé le fond. A 8 h 30 le navire talonna fortement sur la dune de la côte ouest de Langlade. Aussitôt j’ai mis à l’eau une chaloupe dans laquelle nous avons déposé une ancre munie d’un câble. Nous nous sommes éloignes du navire en direction du large et nous avons mouillé l’ancre à une profondeur de 100 mètres. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas parvenus à renflouer le navire en virant sur cette ancre. A 4 heures du matin, j’ai avisé l’officier de marine de Miquelon en lui demandant s’il pouvait apporter de l’aide pour renflouer mon navire. Cette personne était démunie de moyens et je restais seul avec mon équipage pour tenter de sauver mon bateau. Malgré tous nos efforts, compte tenu de la violence du ressac qui poussait le navire vers le rivage, nous fûmes obligés d’abandonner notre bateau prisonnier des sables de la dune. Je quittais mon navire avec beaucoup de regret et d’amertume car c’était un bon bateau et il n’y avait que neuf mois qu’il était construit. »