Quelques heures après le naufrage de la goélette « Mary-Pauline », un autre bateau se trouvait en difficulté au large de nos côtes. Il s’agissait du cargo français « Douala » de 2,333 tonnes de la Compagnie de Navigation Fressinet et Cyprien Fabre, de Marseille. A cette date, ce navire n’aurait pas dû se trouver dans ces parages, mais par suite de son trop long séjour dans la région des grands lacs canadiens, le navire avait un mois de retard sur son horaire. D’après les renseignements recueillis après le naufrage il ressort que le commandant du « Douala » était un marin habitué à naviguer dans les mers tropicales et ses connaissances de l’Atlantique nord en hiver étaient très faibles. Dès le début de l’effroyable tempête il eut de graves avaries à cause de sa trop grande vitesse. La perte de ses panneaux de cale en était un signe certain. La cargaison se composait en partie de grains et de diverses marchandises. Quand les panneaux de cale furent enlevés, les pompes ne purent étaler l’entrée de l’eau. De plus, le grain boucha les crépines des pompes et certainement ce fut un des facteurs déterminant la perte du navire. Immédiatement après la réception des messages de détresse lancés par le « Douala », de très grands moyens furent employés tant par des bateaux que par des avions. Un de ces avions signala que les vagues avaient une hauteur de 22 mètres. De plus la température était de l’ordre de – 15° Celsius.
Un bateau canadien, le « Sir Humphrey-Gilbert » et deux bateaux français du port de Saint-Pierre, le « Rodrigue » et le « Langlade » commencèrent les recherches pour tenter de retrouver les 29 hommes qui se trouvaient dans deux chaloupes. Mais dans une mer aussi démontée c’était ce qu’on appelle « chercher une aiguille dans une botte de foin ».
Toute la journée et toute la nuit suivantes, malgré les grains de neige qui rendaient la visibilité nulle, les courageux bateaux continuèrent leurs recherches et leur veille dans des conditions très dures. Le 22 décembre vers 3 h 45, le « Rodrigue », commandé par Gérard Detcheverry, dont le radar était en panne, patrouillait à une vitesse de trois nœuds, le cap au 260. Soudain, entre deux grains de neige, une fusée rouge fut aperçue très bas sur l’horizon. Quelques minutes plus tard deux autres fusées de même couleur furent aperçues de nouveau par le « Rodrigue ».
Le chalutier diminua de vitesse en se dirigeant dans la direction où les fusees avaient été aperçues. Le capitaine du « Rodrigue » lança immédiatement un appel à tous les navires et à toutes les stations à l’écoute. Plusieurs bateaux accusèrent réception du message ainsi que les bases aériennes de Terre-Neuve qui avisèrent le « Rodrigue » que les avions se préparaient à se rendre à la position signalée.
Les recherches continuèrent inlassablement mais vainement. Quand le jour vint, la visibilité était nettement meilleure que la veille, mais hélas les équipages des bateaux sauveteurs n’apercevaient rien à la surface de la mer. Plusieurs navires rallièrent le chalutier, en particulier le « Sir Humphrey-Gilbert » appartenant au « Canadian Department of Transport », qui s’entretint en phonie avec le « Rodrigue ». Les avions arrivèrent sur les lieux et commencèrent méthodiquement à décrire des cercles en fouillant la mer à très basse altitude. Toute la matinée se passa en recherches sans apercevoir la moindre épave. A 13 heures l’avion coastguard 1347 indiqua en phonie qu’il venait de repérer une épave à 6 milles dans le sud. Le « Sir-Humphrey-Gilbert » qui était le plus près de la position indiquée fonça dans cette direction. Quelques minutes plus tard ce bateau signalait qu’il venait de recueillir quinze survivants d’une baleinière du « Douala ». Le capitaine du bateau donna ordre de mettre le long du bord plusieurs filins pour permettre de monter à bord, mais les pauvres malheureux étaient tellement extenués qu’ils n’y arrivaient pas. Durant cette opération deux hommes furent écrasés entre la baleinière et le bateau sauveteur. Quand les rescapés furent à bord, le capitaine signala que l’état des naufragés l’obligeait à regagner Port aux Basques de toute urgence où les rescapés recevraient tous les soins que nécessitait leur état.
L’avion 1347 demanda au « Rodrigue » de se diriger vers la chaloupe car il y avait encore deux cadavres à bord. Le chalutier recueillit les deux corps puis il embarqua la chaloupe sur son pont.
Les avions et les autres bateaux continuaient toujours les recherches pour retrouver la seconde chaloupe. Vers 16 heures l’avion 1347 appela en phonie le « Langlade » commandé par un autre Saint-Pierrais, Pierre Albert Fouchard, et lui signala qu’il venait de repérer une épave dont il lui indiqua la position. Le « Langlade » força sa vitesse et au bout d’un moment aperçut une chaloupe. En arrivant près de l’embarcation, l’équipage du « Langlade » constata qu’il y avait trois hommes dans la chaloupe: un était mort et les deux autres qui vivaient encore étaient dans un tel état que leur sauvetage devait être effectué de toute urgence. Le capitaine du « Langlade » en marin expérimenté se rendit compte immédiatement que son bateau, qui était muni d’une « ceinture » et qui roulait énormément, ne lui permettait pas de procéder à un sauvetage rapide des deux hommes; il demanda au « Rodrigue » de venir de toute urgence.
Le chalutier, tel un bon chien de Terre-Neuve, fonça une fois de plus et recueillit les deux malheureux qui n’auraient pas survécu longtemps. Le cadavre fut embarqué à bord du « Rodrigue » et les deux bateaux mirent en route à toute vitesse pour rallier Saint-Pierre.
Les deux rescapés furent soignés et réconfortés à bord du « Rodrigue » et au bout de quelques minutes ils purent prononcer quelques mots. C’est alors que le drame apparut dans toute son horreur.
Les deux rescapés expliquèrent qu’au moment de quitter le bord dans la seconde chaloupe où avaient pris place douze hommes, le croc d’un des palans se décrocha. La chaloupe suspendue par un seul palan vint à la verticale, se vida en précipitant les occupants à la mer. Trois purent se maintenir dans la chaloupe qui, libérée de son palan, s’écarta, à demi immergée, du bateau qui s’enfonçait.
Les deux bateaux arrivèrent à Saint-Pierre le 23 décembre vers deux heures du matin. Ce n’est qu’après l’arrivée au quai que l’un des cadavres put être identifié. Il s’agissait d’un jeune Saint-Pierrais de 27 ans, Michel Roulet, brillant officier, Capitaine de la Marine Marchande, qui occupait à bord du « Douala » la fonction de second-lieutenant.
Les quinze autres rescapés évacués sur Port-aux-Basques étaient en bonne santé. Parmi eux se trouvait un jeune Saint-Pierrais, Etienne Rebmann. Les deux autres rescapés furent soignés à l’hôpital de Saint-Pierre et aux dernières nouvelles leur état de santé ne causait pas d’inquiétude, encore que pour l’un d’eux, il faudra peut-être pratiquer une amputation. Voici le bilan de ce drame de la mer: sur un équipage de 29 hommes, il y eut 17 survivants, 12 hommes sont morts ou disparus parmi lesquels:
le Commandant, l’Officier en second, le 1er Lieutenant, le 2ème Lieutenant, l’élève officier, l’Officier radio, le 3ème Mécanicien, le Cuisinier, l’aide de cuisine et trois membres de l’équipage.
Les avions et tous les bateaux qui participèrent aux recherches effectuèrent un travail splendide au prix de difficultés inouïes. Les deux bateaux de Saint-Pierre se distinguèrent particulièrement, ce qui leur valut d’être félicités et remerciés par Monsieur le Ministre de la France d’Outre-Mer et par Monsieur Morin, Secrétaire général à la Marine Marchande, dans des télégrammes adressés è Monsieur Jacques Henry, Gouverneur des îles Saint-Pierre et Miquelon.
Bonjour,j’écris de Marseille ,j’avais dix ans quand on a appris le naufrage du Douala,c’était le jour des fiançailles de mon frère .Mon père ,Philippe Fédèle ,alors chef du personnel navigant à la compagnie Fressinet Cyprien Fabre est parti aussitôt à la compagnie,cet instant est gravé dans ma mémoire comme un grand trou noir tragique où pendant des jours j’ai espéré avec des moyens d’enfant ,que ce grand cargo ne sombre pas avec son équipage,alors que famille ,personnel ,marins et amis se réunissaient dans la plus grande angoisse pour avoir des nouvelles qui ne venaient pas …
J ai écris un livre ,long poème en mer « Marseille la bleue »où j’évoque ce temps des compagnies de navigation et le naufrage du Douala ,si cela vous intéresse pour votre site contactez moi
Anne Fédèle courriel lunitasanpedrina@hotmail;com
Bonjour et merci pour votre travail de recherche et de mémoire !
En 63 j’avais 3 ans, mon père était jeune officier dans la compagnie Fressinet, il a perdu des amis proches lors de ce naufrage. Ma mère me parle encore de cette nuit de décembre où mon père Jean Claude Baret et ma mère Micheline écoutaient les informations sur le poste de radio…
Un grand merci pour votre travail.
Cordialement Alain Baret