Ce rapport qui suit concerne le naufrage du vapeur « Acadien » et j’affirme que tous ces renseignements sont absolument exacts. Ce rapport est la reproduction conforme et tous les détails qui constituent ce témoignage me sont connus.
Le jeudi 14 février, le vapeur « Acadien » quittait Louisbourg pour Saint-Pierre à 9 heures du matin. A environ 10 heures, le vapeur rencontra de grosses glaces, sans toutefois que ces glaces le retardent dans sa progression. A 9 heures du soir, l’Acadien se trouvait en mer libre, et on apercevait aucune glace autour du vapeur.
Le chef mécanicien informa le capitaine qu’une légère voie d’eau venait de se déclarer. Le vent à ce moment soufflait du nord-est puis vira au nord-ouest modérément. Le 15 février au matin, on aperçut Pointe Plate sur l’Ile de Langlade, qui fait partie de Saint-Pierre et Miquelon, port qui était notre destination.
A ce moment, le temps était déjà mauvais. Il ne fit que se détériorer, nous apportant de grandes quantités de neige. Le temps ne s’améliorant pas, il fut jugé impossible de pouvoir entrer à Saint-Pierre dans ces conditions. Le capitaine Scott, un homme qui avait une grande expérience de la mer, décida de prendre la route du large, ce qui mettrait le vapeur dans une plus grande sécurité.
A environ 7 h 15 du soir, l’appareil à gouverner cassa. Dans de pareilles conditions, il était impossible d’envisager la réparation du matériel avarié. La tête de la mèche du gouvernail fut liée très solidement avec des saisines. Cette réparation très sommaire ne constituait qu’une opération à caractère temporaire. Le vapeur continua toute la nuit à labourer la mer, mais il fatiguait énormément. Le mécanicien monta à la passerelle et il déclara au capitaine que la voie d’eau augmentait de façon considérable. Le samedi 16 février, l’appareil à gouverner fut réparé plus solidement et, de plus, on adapta un gouvernail de fortune.
Mais dans cette mer en furie ce gouvernail se brisa au cours de la même nuit. L’appareil à gouverner fut de nouveau réparé temporairement afin de permettre au vapeur de naviguer de façon assez régulière. Pendant ce temps le vapeur plongeait et replongeait dans une houle énorme. Donnant déjà des signes de fatigue qui ne présageaient rien de bon, le mécanicien informa le capitaine que les pompes n’arrivaient à évacuer l’eau qu’avec les plus grandes difficultés, et la tempête faisait toujours rage.
Le dimanche matin 17 février, au cours d’une légère accalmie, l’appareil à gouverner fut réparé solidement. Les chaînes furent adaptées avec plusieurs tours sur le timon, ce qui permit de naviguer avec plus de sécurité. Durant cette matinée un vapeur fut aperçu, nous avons suppose qu’il pouvait être le « Cap Breton ». Quand ce bateau fut en vue, nous virâmes nos signaux de détresse mais â cause de la grosse mer, nos signaux ne furent pas aperçus et le vapeur continua sa route.
La tempête redoubla de violence et au cours de la nuit le gouvernail à nouveau se brisa complètement et il fut emporte par le mer. Un voile fut hissée afin de permettre au bateau d’être mieux stabilisé, et toute la nuit le pauvre navire subit les assauts de la tempête et fut livré à la fortune de la mer. Les pompes n’arrivaient plus â étaler l’entrée de l’eau et le bateau se maintenait à flot avec la plus grande difficulté. Nous avions dérivé très loin de Saint-Pierre. Le capitaine Scott décida de tenter de gagner un port de la côte sud de Terre-Neuve.
Le lundi 18 février la tempête diminua quelque peu. Le vapeur gouvernait tant bien que mal au moyen de voiles qui lui assurent une stabilité précaire, le bateau prend de plus en plus d’eau malgré les pompes constamment en service. Le mardi 19 février à environ 1 heure du matin, une lumière est aperçue. Nous l’identifions comme étant celle du phare de Burin. Nous avons alors émis des signaux de détresse, consistant dans la mise â feu de matière inflammable (moines). De plus, le second officier émettait des signaux lumineux en morse. Tous ces appels de détresse n’ayant pas été aperçus de la terre se révélèrent inutiles. Au lever du jour nous virâmes nos signaux de détresse au moyen de pavillons. Ce n’est qu’à partir de 11 heures du matin que le phare répondit pour la première fois. Mais nous ne pûmes comprendre cette réponse qui pour nous était impossible a interpréter.
A 1 h 30 l’après-midi, voyant que nous ne pouvions réussir à avoir l’assistance demandée, le capitaine décida que soit mise a l’eau une baleinière pour aller à terre demander qu’un remorqueur ou un bateau à moteur vienne nous prendre en remorque. Je pris place moi-même dans cette baleinière. Le second officier, qui commandait la baleinière avait reçu l’ordre du capitaine d’adresser de terre un télégramme aux armateurs pour les informer de notre situation. Malheureusement il n’y avait à Burin et dans les environs aucun remorqueur ou bateau pouvant nous porter assistance.
Un petit bateau à moteur nous remorqua jusqu’à l’Acadien. En arrivant à bord nous informâmes le capitaine Scott qu’un bateau du nom de « S/S Ethie » était en instance de départ à Marystown pour venir à notre secours. Par l’intermédiaire du petit bateau à moteur qui nous avait remorqué le capitaine Scott adressa un message au capitaine de l’Ethie en lui demandant de se hâter.
Le même jour vers 9 h 30 du soir, le bateau sauveteur était le long du bord de l’Acadien. La remorque fut mise en place, mais quelques minutes après, cette remorque cassa. L’Ethie recommença la manœuvre plusieurs fois, mais la force de la houle collait le petit bateau sur l’Acadien. Le capitaine du bateau sauveteur informa le capitaine Scott, que devant l’inutilité de ses possibilités à vouloir le remorquer, il se tenait prêt à remorquer les embarcations de l’Acadien à terre, après l’abandon du navire. Le temps revenait au mauvais et une tempête de neige s’annonçait.
Le capitaine Scott décida de faire abandonner le navire par l’équipage. Il donna ordre à tous les hommes de monter dans la baleinière. Mais ceux-ci semblaient hésiter à monter dans cette embarcation qu’ils jugeaient trop petite pour les prendre tous. Le capitaine Scott me donna l’ordre de monter aussi, ordre auquel j’obéis, ainsi que deux autres marins. Soudain une vague énorme déferla et faillit faire chavirer la baleinière qui, à demi submergée, tossa plusieurs fois sur le vapeur avec violence. Un choc plus brutal que les autres nous arracha de l’Acadien et la baleinière s’en alla à la dérive comme un fétu de paille. Le capitaine de l’Ethie manœuvra pour se rapprocher de nous; il y parvint après avoir surmonté des difficultés inouïes. Pour pouvoir s’approcher de nous il dut jeter à la mer trois bidons d’huile, pour calmer la mer et empêcher les vagues de déferler.
Immédiatement après mon arrivée à bord de l’Ethie, je déclarai au capitaine que 10 hommes se trouvaient encore à bord de l’Acadien. Il manœuvra pour venir se mettre le long de l’Acadien, mais son bateau fut rejeté par la tempête. Il renouvela sa tentative plusieurs fois. Chaque fois ce fut un échec. Le capitaine de l’Ethie conscient de l’impossibilité où il était de sauver les 10 hommes, décida que le moment était venu d’assurer la sécurité de ses passagers, de son équipage et de lui-même. Il avait une raison supplémentaire de le faire, une voie d’eau venant de se déclarer à bord de l’Ethie. Le petit bateau mit en route pour rallier Marystown. Le jeudi 20, l’Ethie nous débarqua à Burin où nous reçûmes un accueil chaleureux de la population.
Nous n’avons jamais eu d’autres nouvelles de l’Acadien, à l’exception de celle qui nous parvint, que le corps d’un marin nomme José Alvadero avait été retrouvé prés de Paradis, dans la Baie de Plaisance.
Dans ce rapport, compte tenu du vent et de la position du bateau, mon opinion est que l’Acadien a dérivé sur un haut-fond et qu’il a coulé immédiatement. Il y avait a bord 400 tonnes de charbon qui par le poids, ont contribué à la disparition rapide du vapeur.
Arthur L. Forster Second Lieutenant du « S/S Acadien ».