18/05/1971 : Transpacific

Photo. Lucien Girardin-Ozon

Les naufrages ne sont pas pour nos îles des histoires du passé. En dépit des perfectionnements que les hommes ont apportés dans l’art de la navigation par tous les temps, de l’équipement mécanique et électronique dont sont dotés la plupart des navires, en dépit également du niveau d’instruction plus élevé des officiers par rapport à leurs anciens, les marins rencontrent encore de nos jours sur l’immense champ de bataille qu’est la mer, ces vieux ennemis séculaires que sont le vent, la houle, le froid, la neige et encore plus souvent qu’on pourrait le croire, les rochers de certaines côtes inhospitalières.

Voici, raconté dans les lignes qui suivent l’histoire d’un magnifique cargo allemand de dix-sept ans d’âge, le « Transpacific », de 3,865 tonnes de jauge brute, commandé par le capitaine au long cours H. Sperling et appartenant à la « Poseidon Line » de Hambourg.

Ce vapeur avait quitté le port de Port-Alfred sur la Rivière Saguenay, près de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. Il avait une cargaison de barres d’aluminium, des marchandises diverses et également une grand quantité de billes de bois précieux entrant dans la fabrication du contre-plaqué de qualité supérieure. Le « Transpacific » avait également à son bord onze passagers. En descendant le golfe Saint-Laurent, le navire eut des problèmes avec ses appareils de détection radar et également des troubles dans son équipement Decca. Le capitaine Sperling envoya un message radio à Saint-Pierre où il demandait que des techniciens viennent à son bord pour procéder à la réparation des appareils. Le « Transpacific » devait rester mouillé au large du port.

Au moment de l’atterrissage une brume épaisse recouvrait l’archipel. Plusieurs doris en pêche au large de Galantry virent soudain apparaître au milieu d’eux perçant la brume, un gros vapeur dont la route ne leur sembla pas bonne. La côte est de l’île Saint-Pierre est parsemée de « cailloux » isolés à plusieurs milles de la terre ferme. Craignant de voir ce navire s’échouer sur un de ces dangers, les doris tentèrent d’avertir le navire en lui coupant la route mais ils n’y parvinrent pas, car le bateau filait à une vitesse nettement supérieure à la leur qui était d’environ sept noeuds.

Pendant ce temps le bateau-pilote ayant à son bord les techniciens ne trouva pas le « Transpacific » au rendez-vous convenu. Le bateau-pilote adressa un message radio au vapeur. Le capitaine Sperling répondit aussitôt que son navire venait de s’échouer, mais que cet échouage n’avait aucun caractère de gravité et qu’il était convaincu qu’il se retirerait lui-même des cailloux. Le capitaine ignorait totalement où il se trouvait, car s’il l’avait su, il eut été moins optimiste. Le lieu de l’échouage était la « Basse à Marie-Rose », véritable nid de cailloux, situé à quelques centaines de mètres au sud de l’île aux Marins.

En fin d’après-midi, le « Transpacific » essaya avec sa machine en arrière toute de se dégager des cailloux, mais cette tentative se solda par un échec. Les autorités maritimes locales responsables venues sur les lieux de l’échouage, estimèrent que le renflouement du navire était impossible par ses propres moyens. Le capitaine décida de débarquer ses passagers et son équipage. Il resta à bord avec trois officiers.

La nouvelle de cet échouage arriva très vite aux oreilles du Capitaine Finch qui dirigeait l’entreprise de sauvetage « Mil Tug and Salvage » du port de Halifax, qui envoya immédiatement à Saint-Pierre le puissant remorqueur de haute mer « Foundation Vigilant ». Le capitaine Petersen, résident à Montréal en tant que capitaine d’armement de la Poseidon Line et le capitaine Georges L. Hayes expert de la Société de sauvetage Hayes, Stuart and C0 Limited s’envolèrent de Montréal pour Saint-Pierre. En arrivant à Sydney N.S. ils rencontrèrent Mr. David N. Cosert, un avocat, représentant de la Compagnie Poseidon Line à Hambourg. Le capitaine Hans Eric Ludwig, Inspecteur en chef de la Poseidon Line était déjà au-dessus de l’Atlantique en route pour Sydney.

Le navire postal « Ile de Saint-Pierre » qui se trouvait à Sydney prit à son bord toutes ces personnalités, qui pendant le voyage purent obtenir des précisions supplémentaires concernant l’échouage du « Transpacific ». Pendant la traversée Sydney-Saint Pierre un télégramme fut adressé aux personnes responsables se trouvant à bord du bateau postal, que le gouvernement français rendait responsables les assureurs du navire échoué, des dommages qui seraient causés par la pollution sur le littoral des îles. On savait de source sûre à Saint-Pierre que le « Transpacific » avait dans ses soutes 4oo tonnes de bunker (huile Diesel) et d’huile lubrifiante. Immédiatement une action de pompage par barges fut suggérée.

Il y avait un autre problème urgent à résoudre, il s’agissait du transport des passagers. A cause de la brume persistante, l’avion ne pouvait atterrir. Une suggestion fut émise concernant une éventuelle escale spéciale du paquebot soviétique de 20,000 tonnes « Alexandre Pushkine », mais cette idée ne fut pas retenue. Un remorqueur de Terre-Neuve tenta de le renflouer, mais le navire échoué était trop monté sur les rochers et ce fut l’échec. A ce moment déjà le vapeur accusait une gîte assez importante.

Après l’arrivée de « l’Ile de Saint-Pierre », les personnalités officielles se rendirent à bord et après une longue et méticuleuse inspection, se consultèrent et décidèrent que le renflouement du « Transpacific » se révelait impossible. Le capitaine Spirling invita tous ses visiteurs à un grand dîner à bord de son bateau. Ce dîner fut en quelque sorte un dîner d’adieu, le « chant du cygne » du malheureux navire. Sur la grande table dressée dans la salle à manger, on mit les plus belles nappes, la vaisselle d’argent, les verres et coupes de cristal, et les meilleurs rumsteacks de la boucherie du bord. On sortit de la cave à liqueurs les meilleurs vins du Rhin, quelques bouteilles de bon Bourgogne et on termina par un « Mumm » de la meilleure cuvée. Ce repas de Lucullus fut vraiment le « nec plus ultra » de ce que l’on pouvait faire avec les moyens du bord. Après le repas, le chef mécanicien descendit dans la machine fermer les vannes d’alimentation des moteurs. Maintenant le grand navire n’avait plus d’âme, ce geste de l’officier mécanicien était le permis d’inhumer du navire échoué. Les experts considérèrent également que le débarquement de la cargaison entraînerait des frais considérables et conclurent qu’il fallait y renoncer.

Durant la nuit et toute la journée du lendemain, 70 doris de Saint-Pierre vinrent le long du bord et vidèrent littéralement les cales de toute la marchandise qu’elles contenaient, des meubles, des jukeboxes, des tondeuses à gazon, des vêtements et autres articles. Ces débardeurs occasionnels réussirent même à utiliser un des mâts de charge et à faire fonctionner les panneaux Mac-Grégor qui fermaient les écoutilles. Quatre jours après l’échouage du « Transpacific » le capitaine et quelques officiels de la Poseidon Line tentèrent d’embarquer à bord pour essayer de remettre on route les moteurs, ce qui aurait permis la remise en marche des pompes pour l’évacuation du mazout. Ces « sauveteurs » d’un nouveau genre, qui se trouvaient toujours à bord, enlevèrent l’échelle de pilote qui permettait d’accéder sur le pont du navire échoué. Le capitaine et ses collaborateurs ne purent donc embarquer et s’on retournèrent à terre fort mécontents. Immédiatement après son arrivée au port le capitaine Sperling déposa une plainte devant les autorités locales responsables. Celles-ci envoyèrent le petit bateau « Miquelon » monter la garde pour tenter d’arrêter ce que le capitaine allemand considérait comme le « pillage » de son bateau.

Pendant le déroulement de ces événements une note d’une grande gaieté, nous dirons même burlesque, fut apportée par la bouche d’un officier allemand. Devant le nombre imposant de tondeuses à gazon récupérées par ces « sauveteurs » zélés, il pensait qu’un commerçant de la place serait très avisé de commander pour les pelouses saint-pierraises un important stock de graines à gazon.

La Société « Atlantic Salvage and Dredging » du port de Halifax fut contactée et accepta de venir à Saint-Pierre pour résoudre le problème de la pollution. Walter Partridge, un spécialiste diplômé en matière de sauvetage en mer, arriva à bord de « Alma Griffin » avec un important matériel. Il amena avec lui un spécialiste de la plongée sous-marine, Fleming J. Vemb qui effectuait des plongées depuis l’âge de 12 ans. Son premier travail fut exécuté en tant qu’assistant de son grand père, ou les deux hommes sortirent 300 cadavres d’un navire allemand torpillé.

Partridge décida de brûler le « mazout » étant donné l’impérieuse nécessité de nettoyer de façon complète les cales de l’épave. Les bancs de pêche fréquentés par les pêcheurs locaux étaient à proximité du navire. Il fallait donc nettoyer de façon rationnelle pour éviter toute pollution.

Le reste de la cargaison était sous l’eau, barres d’aluminium, billes de bois, etc. etc.. Partridge et son équipe pratiquèrent de larges ouvertures sur les dessus des réservoirs à mazout. Une sorte d’énorme « matelas » fut confectionné avec du bois, plusieurs couches de foin sec, de nouveau du bois et des matériaux inflammables tels que pneus de caoutchouc, l’ensemble imbibé de mazout et d’essence. Une longue mèche très sèche reliait le matelas à l’extérieur. Trente trous furent percés dans la coque pour servir de cheminée d’aération. Enfin quand tous ces préparatifs furent terminés, on alluma la mèche. Une formidable explosion déchira l’air et une énorme flamme suivie d’une épaisse fumée sortit du « Transpacific ». Pendant 61 heures les flammes labourèrent les flancs et les superstructures du pauvre navire. Pendant ces trois jours que dura l’agonie du bateau, une brise favorable de Sud-ouest chassa la fumée en direction de Terre-Neuve. Le feu s’arrêta faute d’aliment. La très petite quantité de mazout qui restait dans les fonds fut entièrement enlevée par 90 gallons (400 litres) de produits chimiques. La brume très épaisse dura dix jours. Les onze passagers et les trente-deux membres d’équipage partirent à Terre-Neuve par la vedette à passagers « Béothie ». Ils furent ensuite dirigés via Gander sur Montréal et l’Europe.

L’opération antipollution terminée, il fut possible de récupérer la totalité des billes de bois et des barres d’aluminium, un puissant élévateur, plusieurs centaines de barils métalliques pour mettre de la bière et cinquante barils de miel, quelques apparaux de mouillage tels que ancres et chaînes.

L’épave du « Transpacific » resta entière pendant les mois d’été, mais les grandes tempêtes d’automne brisèrent le navire en trois parties. L’avant alla s’échouer sur la grève du Cap Beaudry à l’Ile aux Marins, la partie centrale constituée par la machine et la timonerie, resta sur le haut-fond et résista longtemps au travail de laminage quotidien de la mer. Enfin la partie arrière glissa et coula à l’accore du haut-fond.

Une fois de plus la preuve était faite qu’un bateau de construction récente, doté d’un équipement moderne très sophistiqué, monté par un état major compétant et un équipage expérimenté, pouvait devenir de nos jours encore la victime de cette terrible « gueuse » que certains rêveurs s’obstinent et persistent à désigner du nom de berceuse aux flots bleus.

1 réflexion au sujet de « 18/05/1971 : Transpacific »

  1. si vous voulez j’ai une poignée de porte d’origine je la vend aux enchères je l’ai récupérée à l’ile aux marins mon prix de départ est de 800 euros à vous de jouer.

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