Le 28 novembre 1908, le croiseur français « Amiral Aube » jeta l’ancre dans la rade de Saint-Pierre. Le croiseur avait à son bord Monsieur Didelot Administrateur des Colonies. Faisant suite à la loi Combres, relative à la laïcisation et à la liberté de l’Enseignement, plusieurs manifestations s ‘organisèrent à Saint-Pierre où la foule défila dans les rues. Le gouverneur de la colonie exagérant le péril, crut bon de demander au Département l’envoi d’un bateau de guerre pour rétablir l’ordre et assurer sa sécurité. Quand le commandant du croiseur, son état-major et le nouvel administrateur débarquèrent, ils s’aperçurent immédiatement que la présence du croiseur à cette époque sur la rade ne se justifiait pas.
Néanmoins chaque après-midi, avant la chute du jour, une grosse chaloupe à vapeur quittait le croiseur, emportant à son bord une patrouille de marins qui assurait le service d’ordre pendant la nuit et regagnait le croiseur dans la matinée du lendemain.
Le 14 décembre, une chaloupe à vapeur dans laquelle avaient pris place sept hommes quitta le croiseur vers 17 heures. Le vent ce jour-là, soufflait très fort du Sud-Ouest et il était accompagné de très fortes bourrasques de neige, que les Saint-Pierrais nomment « poudrin ». Cette chaloupe n’arriva pas à sa destination, le barachois de Saint-Pierre. Des les premières heures de la matinée du lendemain, les secours et les recherches s’organisèrent tant du croiseur que parmi les habitants dont un grand nombre possédait des embarcations. Toutes ces recherches s’avérèrent vaines et pour cette chaloupe on employa la terminologie hélas trop souvent répétée « perdue corps et biens ».
Le Commandant du croiseur promit une prime importante à celui qui trouverait la chaloupe. Les recherches furent reprises par quelques embarcations. Un pêcheur de l’Ile aux Chiens, Louis Arondel, eut l’idée d’adapter un verre de compas (boussole) sur un tuyau de tôle d’environ 1,50 m de longueur. Avec cette sorte de loupe qui lui permettait, même avec une petite brise de faire des recherches, il se mit de nouveau en campagne. Dés le premier jour, en inspectant le fond entre le croiseur et l’Ile Massacre, il vit la chaloupe à environ 500 mètres de cette île, qui reposait sur le fond. Une bouée de liège, préparée à cet effet, fut jetée à l’eau au-dessus de l’épave, et le pêcheur alla immédiatement prévenir le commandant du croiseur.
Le commandant du navire de guerre donna immédiatement des ordres pour que la chaloupe soit récupérée dans les plus brefs délais. Le lendemain le temps étant favorable, une équipe dotée des apparaux de levage du croiseur releva la chaloupe. Celle-ci était intacte, mais hélas les sept occupants manquaient à l’appel et leurs corps ne furent jamais retrouvés. On décerna au pêcheur de l’Ile aux Chiens, la prime convenue ainsi qu’un témoignage de satisfaction. Le haut fonctionnaire qui avait demandé la venue du croiseur fut rappelé en France. Néanmoins cette décision disciplinaire ne pouvait rendre la vie aux sept marins disparus de façon aussi stupide.