14/07/1903 : Monterey

Le S.S. « Monterey » appartenait à une filiale de la Canadian Pacific nommée « Atlantic Steamship Lines », en route de Montréal pour Liverpool. Au phare de la Pointe Plate, a l’extrémité ouest de l’île de Langlade, on éteignait le phare à quatre heures du matin, pendant la saison d’été, telles que le prescrivaient les instructions données aux responsables de la lanterne. Ce jour-là le temps était clair et le gardien de service au phare était occupé à nettoyer tout le matériel éclairant de la lanterne.

A 4 h 30 le gardien chef observa au large des bancs de brume et aussitôt il notifia à son assistant d’allumer la chaudière qui permettait d’avoir la valeur requise pour le bon fonctionnement de la sirène d’alarme.

Vers 4 h 55 la terre était toujours visible dans un rayon assez grand autour du phare. La sirène d’un steamer fut entendue au large aux environs du 3150 (nord-ouest). Cinq minutes plus tard, on fit partir un coup de canon pour signaler la présence de la terre. Le canon était employé quand la sirène n’était pas en opération, ou au moment où la vapeur n’était pas encore assez forte pour pouvoir faire démarrer la sirène.

Le vapeur s’échoua à 5 h 15. Le vent soufflait légèrement du sud-ouest et la mer était très plate. Cinq minutes plus tard, la pression était suffisante et permettait de lancer le premier coup de la sirène de brume. A 6 heures le temps était encore clair, mais une heure et demie après, la brume entoura tout le secteur et dura jusqu’à onze heures du matin.

Le « Monterey » sous le commandement du capitaine Williams, s’échoua à la Pointe aux Goélands, à environ 700 mètres au sud du phare. Sa vitesse au moment de l’échouage était de l’ordre de 12 nœuds. Tout fut mis en œuvre pour essayer de retirer le vapeur de sa fâcheuse position, mais tous les efforts furent vains. Le bateau à ce moment était a environ 80 mètres du rivage. Cet échouage fut enregistré sur le livre de service que tenait ouvert le gardien chef du phare de Pointe Plate. Deux jours après l’échouage, le représentant de l’armateur et le pilote, Pierre Gervain, de Saint-Pierre, rendirent visite au capitaine du « Monterey » et apprirent que le steamer avait navigué dans la brume depuis son départ de Montréal. Dans son rapport de traversée et d’échouage, le capitaine du « Monterey » relate qu’il n’avait pas eu connaissance du Cap Ray à cause de la brume qui était très épaisse. Il pensait que sa route le ferait passer au moins entre 12 et 15 milles de Pointe Plate. Le capitaine Williams ignorait que la violence du courant fut aussi grande sur la route où il naviguait. Voici un extrait de la déclaration qu’il fit aux autorités maritimes de Saint-Pierre:

« Je suis navré et j’ai une grande amertume d’avoir perdu mon navire le steamer anglais « Monterey » de Liverpool, de 3489 tonnes de jauge nette. Ce jour-là 14 juillet, j’effectuais ma navigation avec beaucoup de soins et d’attention car il y avait de la brume, à la poursuite de mon voyage sur l’Angleterre. J’affirme qu’au moment de l’échouage aucun signal sonore n’a été entendu nous donnant des renseignements sur la présence de la terre. Le premier signal venu de la Pointe Plate fut un coup de canon dix minutes après l’échouage de mon navire. Le canon continua a être entendu mais ce fut deux heures après l’échouage que nous avons entendu le premier signal donné par la sirène de brume.

Le second officier, M. James A. Howard, a recueilli à terre des renseignements qu’il a relatés dans un rapport écrit. Il me plairait que ce rapport soit enregistré d’une façon officielle. Le second officier Howard s’était rendu le 15 juillet vers 8 heures du soir dans une des maisons du gardien. Il affirme que l’épouse du gardien chef lui aurait dit: « C’est vraiment une pitié de voir un si beau bâtiment sur les cailloux ». Il répondit à la dame: « Si un signal de la terre eut été émis, nous n’aurions pas perdu notre bateau ». Il lui demanda si son mari était de service au moment de l’échouage. Elle répondit: « Non, mon mari avait terminé son service à minuit, et il devait le reprendre à 6 heures du matin. » Elle ajouta: « Mon mari s’est levé à 5 heures et il a regardé par la fenêtre. Immédiatement il s’est écrié : « Mon Dieu, quelle brume ! … Mon Dieu, un vapeur échoué, et la sirène et le canon qui ne fonctionnent pas… ». J’ai demandé à mon mari: « Qui est de service? ». Il m’a répondu: « C’est le deuxième mécanicien, mais il s’est endormi. »

Le « Monterey » avait une cargaison de marchandises diverses, en particulier des grains, du beurre, des fromages et 1090 têtes de bétail. L’équipage et des gardiens spécialisés, au total 110 hommes, s’occupaient de ce troupeau pendant ce voyage. Que pouvait-on faire avec tout ce cheptel ? La terre de Pointe Plate n’offrait aucune possibilité permettant de nourrir un tel nombre d’animaux. Deux petits steamers, « l’Argyle » et le « Grand Lake », accostèrent le « Monterey » et prirent à leur bord tous les animaux que leur capacité de cale et de pont permettait de transporter. Le reste du troupeau fut mis a terre en le jetant par-dessus le bord !

Cet ordre fut donné par les agents d’assurance, car il y avait du mauvais temps qui arrivait. Une faible partie des bœufs débarqués grimpèrent sur les collines avoisinantes, mais la plupart resta prés du phare. N’ayant pas de nourriture depuis plusieurs jours et fascinés la nuit par la lumière aveuglante du phare, les bœufs chargeaient constamment et mirent en pièces toutes les clôtures autour des bâtiments ainsi que les palissades qui entouraient les jardins des gardiens. Ils occasionnèrent un dégât considérable aux installations. Les gardiens et leur famille étaient prisonniers dans leurs maisons, car ils ne pouvaient sortir à cause de la furie de ces bêtes qui les poursuivaient. Le gouvernement des îles Saint-Pierre et Miquelon demanda que les bêtes soient abattues le plus rapidement possible, et que tous les dégâts occasionnés par ces animaux sur les installations du phare et des gardiens soient remboursés par la compagnie d’assurance.

L’histoire du naufrage du « Monterey » laissa dans la mémoire des habitants de nos îles un indélébile souvenir. De nos jours les anciens le rappellent et le font connaître aux jeunes générations peu au courant de pareilles aventures maritimes.

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