L’Ali-Baba était une goélette Saint-Pierraise, qui portait le nom d’un héros bandit, d’un conte qui a bercé notre enfance. Elle était commandée par le capitaine Thomelin. Cette goélette était en pêche sur le Banc de Saint-Pierre le 13 septembre 1900 au moment où une des plus grandes tempêtes se déchaîna. Plusieurs jours d’anxieuse attente se passèrent et la goélette ne revint pas au port, ainsi que plusieurs bateaux en pêche dans ces parages. Les semaines succédèrent aux jours et l’Ali-Baba fut considéré perdu corps et biens.
En octobre, des pêcheurs aperçurent au large d’une petite anse de la côte ouest de Miquelon, une goélette chavirée. Ils s’en approchèrent et reconnurent l’Ali-Baba, flottant la quille en l’air au gré des courants. Plusieurs embarcations remorquèrent la goélette le plus prés possible de la côte. Un panneau fut découpé dans les bordages et le vaigrage, afin de permettre à un homme de pénétrer dans la cale, où pensait-on il y avait des cadavres. Cette idée se révéla exacte après qu’un Miquelonnais volontaire eut pénétré à l’intérieur du bateau. Il ramena 13 cadavres en décomposition avancée et un seul seulement put être identifié.
Le souvenir de ce drame maritime hanta très longtemps la mémoire des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon. Les mats de cette goélette servirent au début du siècle à consolider la base de l’église de Miquelon, et un morceau du beaupré permit de construire une maquette de goélette qui sort tous les ans de l’Eglise de Saint-Pierre au moment de la procession de la Fête des Marins.
Récit de Jean-Pierre Detcheverry :
Ce matin du 7 octobre 1900, Bénony Girardin et un autre Miquelonnais du nom de Haran aperçurent au large de la côte Ouest de Miquelon, à environ deux kilomètres du Cap-Blanc, une épave de navire dérivant la quille en l’air. Après avoir prévenu le Chargé du Service Administratif, Monsieur Paul Lamorlette, de ce fait, c’est à partir des cabanes de pêche de « l’Ouest », qu’une trentaine de pêcheurs se rendirent sur les lieux à bord de douze doris. Lorsqu’il arriva surplace, Monsieur Lamorlette fut informé par des pêcheurs qu’il devait s’agir de la goélette Ali-Baba présumée perdue sur les bancs de pêche lors d’une violente tempête, le 13 septembre 1900.
Le Ali-Baba était une goélette de soixante trois tonneaux qui avait été construite à Pubnico en NouvelleEcosse en 1884. Ce navire, exploité par un armateur local Monsieur Jacques Legasse, était armé par dix neuf hommes d’équipage et était commandée par le capitaine Joseph Chesnel. La pêche à la morue se pratiquait à partir de doris qui quittaient le bord dès le matin et le regagnaient après avoir remonté leurs lignes de fond. Un pêcheur de cette goélette avait déjà péri en août de la même annee, son doris ayant chaviré dans le mauvais temps.
Les embarcations présentes sur le lieu tentèrent de remorquer l’épave vers la « Grande Anse du Ouest », mais en vain. Il faut dire que la quille du navire mesurait quand même vingtdeux mètres et le courant très violent n’aidait en rien les sauveteurs dans leurs efforts. Vers vingt deux heures, ils abandonnèrent.
Quelle ne fut pas leur surprise en arrivant à « I’Ouest » le lendemain matin. L’épave avait disparu. Quelques instants plus tard, ils la virent dériver au loin. Tous les efforts de la veille n’avaient servi à rien. Dix huit sauveteurs tentèrent à nouveau de ramener l’épave au ‘plein’, en face des cabanes de pêche de « I’Ouest » à côté de la « Grande Anse » et de « l’Anse aux warys ». Le grand mât s’était cassé dans la nuit, lorsque l’épave passa au-dessus du « Fond Briand », un endroit bien connu des pêcheurs miquelonnais. Ce qui facilitait le travail des sauveteurs. Il fut ramené dès le matin par Théodule Gaspard. Leurs efforts furent cette fois récompensés, car en fin de journée, ils arrivèrent près des rochers sur lesquels la coque menaçait alors de se fracasser. Ils l’attachèrent du mieux qu’ils purent, mais les vents se faisant plus violents dans la nuit, les amarres vinrent à se rompre.
Entre-temps, par le bateau « La Liberté », arrivèrent à Miquelon, l’armateur Jacques Légasse et Monsieur Jourdan, représentant de la compagnie d’assurance. Après avoir constaté l’état du navire, Jacques Légasse déclara abandonner les débris de l’épave à la Marine, mettant dans l’embarras Monsieur Lamorlette. Que faire de cette épave ? Il décida sur le champ d’organiser une vente publique programmée pour le jour suivant au matin. Il envoya donc une personne faire du porte à porte, annonçant la vente pour le lendemain dix heures.
Le 9 octobre au matin, Bénony Girardin alla avertir le gendarme qu’il venait, lui et les hommes qui avaient remorqué l’épave, de trouver deux cadavres le long de la goélette Alti-Baba. Ce qui laissait présager qu’il pouvait y en avoir d’autres à l’intérieur de la coque. A dix heures précises, une cinquantaine de personnes se trouvaient réunies face à l’épave qui fut adjugée pour la somme de dix francs au principal sauveteur Bénony Girardin, personne n’ayant émis de surenchère. Il faut dire que le bateau se trouvait à une distance assez conséquente du rivage, et vu l’état de la mer, était dangereux d’accès, risquant de se briser à tout moment. Le mât de misaine fut adjugé au curé du village Monseigneur Oyenard pour la somme de cinq francs. La misaine fut vendue à Dominique Borotra au prix de soixante six francs après surenchères entre ce dernier et l’armateur Jacques Légasse. Le grand mât revint également au curé pour la somme de quinze francs. Cette énorme pièce de bois devait par la suite servir à soutenir le clocher de l’église de Miquelon.
Sitôt après la vente, il fallait inspecter l’intérieur de la coque, et c’est au propriétaire de l’épave que l’on eut encore recours. Bénony Girardin, pénétrant par un panneau découpé dans les bordages et le vaigrage, accomplit cette pénible épreuve. Il en sortit dix cadavres en état de décomposition, sans doute morts étouffés près d’un mois auparavant. Un seul put être identifié à cause d’un orteil coupé. Il ramena aussi le rôle d’équipage certifiant qu’il s’agissait bien de la goélette Alti-Baba.
Le lendemain jeudi 11 octobre, tous ces malheureux furent enterrés au cimetière de Miquelon, les douze cercueils ayant été confectionnés de toute hâte par un artisan local. La mer se faisant de plus en plus mauvaise, l’épave se brisa sur les rochers, et Monsieur Lamorlette écrivait à son supérieur: « Une violente tempête sévit, et aujourd’hui vendredi matin, Monsieur le Curé en sera pour ses frais; le mât de misaine est parti pour une destination inconnue. »
La mer prouva une fois encore qu’elle était la plus forte. Elle avait décidé de prendre dix neuf marins à leur famille et de ne rendre que douze corps sans vie.
Merci ! Récit intéressant à lire, comme bien d’autres !
Très intéressant Mais j’aurais voulu savoir si le nom de Joseph Apesteguy faisait partie des naufragés.