Le « Grèbe » était un trois-mâts goélette français, immatriculé à Tréguier. Il était commandé par le capitaine Rouzes et avait un équipage de sept hommes. Le bateau avait quitté le port de Cadix (Espagne) le 20 juillet à destination de Saint-Pierre. Le capitaine avait réussi le 8 septembre à faire un point observé qui le plaçait sur la latitude de 45°11° Nord et la longitude de 55°10 Ouest. Il mit le cap au 340° pour traverser le Banc de Saint-Pierre et atterrir sur les îles Saint-Pierre et Miquelon par le sud.
Ainsi qu’il est fréquent dans ces parages, à cette époque de l’annee, la brume s’abattit sur le navire.
Le 10 vers minuit un formidable talonnage ébranla le bateau de la quille aux mâts. Le capitaine comprit tout de suite la cause de cet ébranlement. Son bateau était au sec comme disent les marins. Il donna l’ordre de mouiller les deux ancres et mit ses pompes en action. Le pont est balayé par des lames monstrueuses et le canot qui est mis à la mer est réduit en miettes le long du bord. Les hommes crient au secours et allument un fanal. Rien ne répond aux alentours à leurs appels désespérés.
La charpente du navire souffre et d’effroyables craquements se font entendre. La situation devenant de plus en plus critique, le capitaine qui a gardé tout son sang froid, ordonne à ses hommes de grimper dans la mâture. L’aube enfin, les vagues brisent partout, la mer ressemble à une immense chaudière en ébullition.
Le capitaine s’adressant à l’équipage, dit: « qui veut gagner la terre ». Six voix se font entendre. Le capitaine les fixant l’un après l’autre, choisit le plus robuste et le meilleur nageur, c’est un solide breton, Yves Darathoën, qui se jette à la mer aussitôt et après trois quarts d’heure d’efforts, réussit à prendre pied sur la terre ferme. Le matelot est épuisé, mais songeant à ses camarades en danger de mort, repart en chancelant en direction de la ferme de M. Victor Gautier, où il arrive complètement vidé de ses forces, puisant dans un dernier effort, l’énergie qui lui permet d’alerter les fermiers. Un ouvrier, Louis Largoët, court en ville donner l’alarme aux autorités maritimes et à la population qui accourt sur la grève de la Pointe Blanche, lieu du naufrage.
L’administration des Affaires Maritimes a fait diligence, le vapeur Dangeac après avoir franchi la passe du Sud-Est, va doubler le Cap Noir et va essayer d’atteindre la Pointe Blanche. Des hommes sont sur la grève, on les a vus du bord et l’espoir revient au cœur de l’équipage du « Grèbe ». Mais que l’on fasse vite car la situation empire à chaque minute. Il y a trop de brisants pour que les secours viennent de terre. Le « Dangeac » pourra-t-il sortir vainqueur de sa lutte avec la tempête? Eh bien non : Son gouvernail faussé par la houle, l’oblige à retourner au port.
Est-ce que les marins du « Grèbe » seront comme tant d’autres victimes de la « grande mangeuse d’hommes »? Non, car deux hommes se sont précipités dans leur doris. Le pilote Pierre Gervain et son matelot Dominique Sarazola volent au secours des naufragés. Le doris bondit sur les vagues et disparaît derrière le Cap Noir. Un quart d’heure plus tard il est à la Pointe Blanche.
Du rivage on a aperçu le doris et l’émotion est à son comble. Plusieurs fois il passe le long du bord, deux hommes sautent dans le petite barque. Il revient deux fois, trois fois. Arrivera-t-il à emmener les six hommes? Oui c’est gagné, la foule sur le rivage pousse un hurrah et acclame le courageux pilote et son matelot. Le doris met le cap en direction du port en laissant un navire dont le sort est scellé.
Il est environ dix heures quand le doris vainqueur dépose à la cale du Gouvernement les six naufragés. Devant une foule énorme, le gouverneur Sautot embrasse les deux vaillants marins Saint-Pierrais qui viennent d’arracher à la mort six marins français.
Quelques mois plus tard la médaille de sauvetage sera attribuée à ces deux vaillants et courageux marins.