L’histoire de ce naufrage peut se rattacher à cette époque que les Saint-Pierrais nommèrent « Le temps de la fraude ». En 1919 le Gouvernement des Etats-Unis fit voter une loi que l’on désigna sous le nom de loi Volstead, du nom de l’homme politique américain qui proposa cette loi au parlement américain. Cette décision politique consistait à interdire toutes les importations d’alcool aux Etats-Unis. Plusieurs pays profiteront de l’occasion en introduisant clandestinement des alcools dans le pays précité. Les îles Saint-Pierre et Miquelon n’échappèrent pas à cette action, et ce trafic qui apporta aux îles des sommes considérables dura de 1920 à 1935, où la France mit fin à ces activités de contrebande. Il faut reconnaître que ce trafic considéré par les Américains et les Canadiens comme illicite ne l’était pas pour les Français.
Pendant ces quinze annees, de nombreux cargos amenèrent d’Europe des milliers de caisses de whisky, champagne, cognacs et liqueurs de toutes sortes. Une importante flottille de vedettes (rhum runners) emportaient ces alcools sur la côte américaine et livraient leurs cargaisons au moment de la nouvelle lune (lune noire) de préférence. Le gouvernement français subit de telles pressions pour faire cesser ce trafic que certaines décisions furent prises après les annees 1930-1932, mais en réalité le trafic continua jusqu’au moment où le gouvernement américain se décida à abroger la loi.
Le Nathaly J. Nelson était une magnifique goélette appartenant au Capitaine Stephen Fudge de Cloucester, U.S.A. Ce bateau officiellement pratiquait la pêche, mais en réalité, il faisait la contrebande de l’alcool. Ce genre de trafic était très prisé à l’époque. On mettait l’alcool au fond de la cale, et on arrimait de la morue salée par dessus. Les cutters américains furent très souvent trompés par les fraudeurs qui pouvaient impunément livrer l’alcool à leurs clients. Le Nathaly J. Nelson avait une jauge de 117 tonnes.
Il avait quitté Belloram (Terre-Neuve) le 17 septembre. Sa cargaison se composait de 85 tonnes de whisky qu’il transportait à Tayol, port des Bahamas, non loin de Nassau. Le temps étant incertain, le Capitaine Fudge décida de relâcher dans le port de Saint-Pierre. La brume entourait le navire depuis son départ de Belloram, et c’était le moment d’une « marée de syzygie » qui amplifie le courant d’une façon considérable. Le capitaine Fudge se croyait à plusieurs milles au large de l’île de Saint-Pierre quand brusquement le navire fut ébranlé par un choc formidable. C’était l’échouage sur la côte Sud de Saint-Pierre, à la Pointe Blanche exactement.
Quand l’aube parut le capitaine s’aperçut que son navire était échoué sur des rochers d’où il ne pourrait être retiré. Après que l’équipage eut évacué le bord, les experts considérèrent que le navire devait être déclaré perte totale. Environ un cinquième de la valeur de la cargaison évaluée a 5,000 dollars put être sauvée.